Dans le discours inaugural de son gouvernement en 2018, le premier ministre François Legault affirmait ceci : « La première grande priorité que je voudrais aborder, c’est l’éducation. Pour la première fois depuis les années 1960, l’éducation va être la première priorité du gouvernement. Notre grande ambition, ce n’est rien de moins que de donner à chaque enfant tous les outils pour l’amener au bout de son potentiel. Je suis convaincu que tous partis confondus on peut partager cette noble ambition. L’éducation, c’est l’avenir de la nation québécoise. »

Après quatre années de règne, on ne peut pas affirmer que la CAQ a réalisé sa noble ambition. C’est vrai, le gouvernement a haussé de façon importante le salaire des enseignants à l’entrée de la profession et il a lancé plusieurs projets de construction et de rénovation d’écoles. Cette dernière initiative a cependant eu pour effet de révéler de manière encore plus criante le déficit d’entretien dont souffrent les établissements scolaires, lequel s’élevait l’an dernier à plus de 5 milliards de dollars⁠1.

Voilà qui explique que tant d’écoles n’ont toujours pas droit à une ventilation adéquate (durant la pandémie, on demandait aux enseignants d’ouvrir les fenêtres de leur classe, même en plein hiver !), que tant d’autres ne jouissent pas d’une bibliothèque ou d’infrastructures sportives adéquates, que des salles ou des ailes complètes d’établissement (quand ce ne sont pas des écoles entières) continuent d’être condamnées, en raison de problèmes d’isolation ou de moisissure.

La pandémie a bien sûr compliqué la tâche du gouvernement en cette matière comme dans tout le reste, mais elle semble aussi avoir bousculé l’ordre des priorités.

Si l’on s’en remet au discours entendu ces derniers mois, la préoccupation principale semble être redevenue la santé, comme ce fut le cas pour tous les gouvernements depuis 20 ans.

La tentation est grande de faire subir au système de santé une nouvelle réforme – ou une « refondation », comme on l’appelle à la CAQ – et il est vrai que certains aspects de ce système méritent d’être repensés en profondeur, comme le mode de rémunération des médecins et la faiblesse chronique des soins à domicile.

Un groupe silencieux

Il faut cependant espérer que le prochain gouvernement ne cédera pas à la tentation de déterminer ses priorités en fonction de ses intérêts électoraux. Car à ce compte, il est déjà assuré que l’éducation sera reléguée loin derrière.

Le problème de l’éducation, en effet, est que les enfants et les adolescents, contrairement aux autres membres de la société, ne votent pas et ne paient pas d’impôts, ne répondent pas aux sondages et ne participent pas aux groupes de discussion, bref ne constituent pas une « clientèle cible ». Il est donc tentant de négliger leurs intérêts au profit de mesures plus payantes électoralement parlant, comme des baisses d’impôts ou la construction d’un tunnel.

Il faut un vrai courage politique pour faire de l’éducation la grande priorité, dans la mesure où un gouvernement qui s’avance sur cette voie ne récolte pas dans l’immédiat le fruit de ses efforts.

Et on peut dire qu’en cette matière, le courage manque hélas depuis trop longtemps, le Québec se situant en queue de peloton des investissements en éducation à l’échelle canadienne⁠2. Pourtant, les gouvernements qui ne cherchent pas seulement à gagner une élection, mais à marquer l’Histoire n’ont d’autre choix que de miser sur l’avenir, celui-là même que François Legault et sa coalition revendiquent fièrement.

Le personnel d’abord

Il ne suffit pas de se préoccuper des enjeux matériels, aussi importants soient-ils. Car le réseau de l’éducation souffre aussi d’un grave déficit sur le plan humain. Il faut s’attaquer de toute urgence à la pénurie de personnel enseignant en permettant aux titulaires d’un baccalauréat spécialisé (en histoire ou en mathématique, par exemple) de joindre la profession moyennant une année de pédagogie, comme cela se faisait auparavant.

Il faut encourager les jeunes enseignants à demeurer dans la profession (plus du quart décrochent après cinq ans) en leur offrant des conditions de travail plus stables et en les jumelant à des professeurs d’expérience qui pourraient agir à titre de mentor.

Il faut aussi recruter des professionnels pour fournir des services d’accompagnement aux élèves en difficulté, en évitant que des compressions arbitraires conduisent à une nouvelle perte d’expertise et privent les enfants de l’aide dont ils ont besoin – ce qui s’est produit durant les années Couillard, où de nombreux professionnels ont dû passer au privé, faute de travail. Il faut enfin décentraliser le système en accordant plus de pouvoir aux écoles, afin de favoriser les initiatives locales et de développer le sentiment d’appartenance au milieu.

Peut-être convient-il en outre de prévoir une loi qui garantirait un financement stable et récurrent du réseau, de manière à le soustraire aux humeurs électorales des partis. Ce serait l’occasion de reconnaître que les montants investis en éducation ne sont pas à placer dans la colonne des dépenses, mais dans celle des investissements. Car oui, l’éducation coûte cher, mais l’ignorance coûte encore plus cher. Et dans un contexte de vieillissement accéléré, où il y aura de moins en moins de travailleurs pour soutenir l’ensemble des services, le Québec ne peut plus se permettre de négliger sa jeunesse.

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