En réponse au texte de Philippe Lorange « À la défense de l’universalisme », publié le 24 mars

Je suis moi-même étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQAM depuis 2018, ainsi qu’assistant de recherche.

Mon domaine de recherche est la sociologie du nationalisme, où certaines des questions abordées dans la lettre ouverte de Philippe Lorange1 sont largement et constamment traitées. Je précise aussi que je ne le connais pas du tout.

La citation d’une professeure critiquée par M. Lorange est réellement discutable, et la lettre mériterait donc une réponse sérieuse. Cependant, compte tenu de certains des propos de M. Lorange, il est difficile de croire qu’il écrit en toute bonne foi même si son questionnement est légitime.

Ayant étudié en sciences politiques et en sociologie, il doit connaître la définition du racialisme : la doctrine selon laquelle le genre humain se divise réellement en races, et que ces différences réelles entre races expliquent des phénomènes sociaux. Qualifier quelqu’un de racialiste, c’est donc l’accuser de racisme, un racisme qui ne serait pas accidentel ou impensé, mais réfléchi et savant.

Le racialisme relève aujourd’hui de la pseudoscience et personne ne s’en revendique, sauf certaines franges de l’extrême droite. Il s’agit d’une accusation qui peut être recevable (je pense par exemple aux nombreuses accusations2, dont beaucoup ont été épidermiques, mais certaines solidement argumentées, suscitées par les propos de la militante Houria Bouteldja en France), mais que l’on ne peut pas faire à la légère.

Alors, qui sont les « racialistes » dont parle M. Lorange dans sa lettre, et quelles sont leurs positions ? Difficile à dire. On peut penser aux théories postcoloniales et décoloniales, qui sont les cibles les plus fréquentes de telles accusations. De mon expérience, il n’existe pas, au département de sociologie de l’UQAM, une « orthodoxie » postcoloniale ou décoloniale. Ces deux étiquettes recouvrent une grande variété de travaux et d’écrits très différents, traversés de débats, de sorte que je ne suis pas certain de ce à quoi ressemblerait une telle orthodoxie en premier lieu.

Disons simplement que je suis généralement peu friand de la plupart de ces approches, favorisant plutôt les approches wébériennes de l’ethnicité et des frontières sociales. J’ai eu plusieurs occasions de discuter et de débattre longuement des critiques adressées aux approches postcoloniales (pour citer un exemple, le livre du sociologue indien Vivek Chibber Postcolonial Studies and the Specter of Capital) lors de séminaires, et bien que cela ait mené à quelques débats parfois houleux, je n’ai jamais éprouvé de problème. En réalité, je ne peux même pas dire que je me sois senti en position de minorité.

Il faut dire que je n’ai pas l’habitude d’aborder les interlocuteurs avec qui j’ai des désaccords théoriques en les qualifiant immédiatement et gratuitement de racialistes. Si M. Lorange souhaite réellement aborder les critiques de ces approches, en les prenant au sérieux et en se soumettant aux mêmes critères de rigueur qu’il leur impose, il devrait facilement découvrir qu’il n’est pas le seul, ni parmi les étudiants ni parmi les professeurs.

En revanche, si sa lettre est représentative du degré de considération qu’il a pour ses contradicteurs, c’est le milieu universitaire tout entier qui risque de lui poser problème.

Quant aux évocations à la révolution culturelle et à la peur de voir effacée la culture occidentale qui aurait péché par sa blancheur aux yeux des dangereux étudiants de l’UQAM, je ne suis pas sûr qu’il y ait une façon polie de le dire : si on est clément, il s’agit d’une caricature à très gros traits de propos plutôt marginaux présentés comme s’ils étaient omniprésents. Si on est moins clément, il s’agit de mensonges éhontés.

J’aurais aimé avoir plus de place pour aborder d’autres aspects de la lettre de M. Lorange. Ses questions sur les propos de la professeure peuvent, dans les bonnes circonstances, mener à des discussions tout à fait fructueuses, et il n’a pas forcément tort de douter de la pertinence de cette formulation. Heureusement, il aura certainement l’occasion d’avoir de telles discussions au cours de son parcours à l’UQAM, s’il y est disposé.

1. Lisez le texte de Philippe Lorange 2. Lisez « Ahmadinejad, mon héros » dans le Monde diplomatique Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion