L’auteur réplique à la lettre de Jeff Gaulin, « Le retour des cigarettes ? Non, l’arrivée de nouvelles solutions », publiée le 14 février.

C’est avec beaucoup de consternation que j’ai lu une lettre d’opinion, aux allures de publicité, dans La Presse la semaine dernière⁠1. Cette dernière prêchait l’arrivée de nouvelles solutions afin d’accélérer le déclin du tabagisme dans notre société. Rapidement, la phrase qui m’est venue en tête a été « Homo homini lupus est », l’homme est un loup pour l’homme ; et lorsque l’on parle de tabagisme, de vapotage ou de produits sans fumée, l’homme a les dents bien longues, faisant passer le loup pour un agneau sans défense.

En tant que scientifique et chercheur en santé pulmonaire, je vis dans un monde de questionnement constant où la mise en doute est perpétuelle et nécessaire. J’encourage ces comportements entre autres auprès de mes étudiants puisqu’en science, la vérité n’est pas ce que l’on dit ou ce que l’on croit, mais bien ce que l’on peut démontrer de façon claire à la suite d’un processus rigoureux suivant la méthode scientifique… ce qui peut prendre des années. Lorsque vous demandez à un chercheur « êtes-vous certain ? » et que vous voyez son regard vous quitter pour quelques secondes, c’est qu’il a depuis longtemps accepté que la certitude est souvent éphémère en science ; que plus on sait, plus on sait que l’on ne sait rien. Faisons donc l’exercice de mettre nos lunettes de scientifique et de chercheur pour quelques minutes et regardons le monde du tabagisme, du vapotage et des produits sans fumée.

En guise d’exemple, voici une phrase tirée du texte de la semaine dernière, mais que l’on entend constamment un peu partout : « … de plus en plus d’études, menées partout dans le monde, démontrent que le vapotage reste une solution de rechange largement préférable à la cigarette ». Ajustez bien vos lunettes, c’est parti !

Le mot qui frappe fort, surtout pour une scientifique, c’est « démontrent », suggérant que plusieurs études ont suivi la méthode scientifique de façon claire et rigoureuse et en sont arrivées à la conclusion évidente que le vapotage a moins de conséquences que le tabagisme. Comme chercheur qui effectue des études sur le vapotage depuis près de cinq ans maintenant, je peux vous affirmer que ce n’est pas le cas, mais pas du tout !

Le vapotage, une solution de rechange à la cigarette ?

Alors qu’il est bien établi que plusieurs décennies sont nécessaires au tabagisme pour causer des cancers ainsi que des maladies pulmonaires et cardiaques sévères, comment pouvons-nous savoir ce que des décennies de vapotage peuvent faire puisque l’on vapote depuis à peine plus de 10 ans ? Bien que rares, mais probablement sous-diagnostiquées, les « maladies pulmonaires associées au vapotage » (MPAV) nous en donnent un avant-goût, amenant des jeunes comme des plus vieux en détresse respiratoire à l’hôpital et même aux soins intensifs.

Pourquoi ? Comment ? Nous ne le savons pas, mais on cherche à comprendre, et on sait que les produits légaux en sont une cause, en plus des produits illégaux.

De plus, d’un point de vue de chercheur en santé respiratoire avec de belles lunettes de scientifique, et sachant que le vapotage cause des MPAV, il serait peu probable qu’une habitude comme le vapotage, capable en quelques semaines ou quelques mois d’affecter le poumon de certains utilisateurs à un point tel que l’hospitalisation est nécessaire, n’ait pas d’effets chroniques délétères à long terme. Quelles seraient/seront ces maladies ? Malheureusement, il faudra attendre pour le savoir. Être mis devant le fait accompli et, encore, essayer de guérir au lieu de prévenir.

Prenez-le de ma bouche et écrivez-le dans la pierre : « Nous ne savons pas si le vapotage aura des effets plus ou moins importants que le tabagisme sur la santé de la population dans les décennies à venir »… la meilleure solution de rechange santé à la cigarette de tabac, eh bien, c’est l’air pur, pas le nouveau gadget du dépanneur du coin.

Mais que peut-on faire ? Le tabagisme avait atteint un niveau tellement bas chez les jeunes. C’est tellement décevant de voir cette belle génération accro aux produits de vapotage. À qui la faute ? Aux compagnies qui vendent et publicisent agressivement ces produits ? Aux gouvernements assaillis de lobbyistes et qui tardent à légiférer ? Aux chercheurs dont les travaux n’avancent pas assez vite ?

On peut jouer la blame game tant qu’on veut, dénonçant la malhonnêteté de l’un ou les inactions de l’autre, mais il demeure que ce sont les connaissances, le savoir et les données obtenues selon la méthode scientifique qui doivent guider nos décisions collectives. Soutenez vos scientifiques. Sans méthode et sans science solide, nous sommes condamnés à chasser les sorcières et à suivre aveuglément les faux prophètes. Donc lorsque l’on vous parle avec trop de certitude de nouveaux produits ou de nouvelles habitudes, doutez, questionnez-vous, demeurez rationnel, détectez les conflits d’intérêts et n’hésitez pas à porter vos lunettes de scientifique… elles ont beaucoup plus de style qu’une cigarette ou une vapoteuse !

Lisez « Le retour des cigarettes ? Non, l’arrivée de nouvelles solutions »

* L’auteur est professeur agrégé au département de médecine de l’Université Laval.

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