Le texte de l’éditorialiste Alexandre Sirois du 3 janvier sur le cynisme citoyen à l’égard des politiciens et du processus électoral⁠1 mérite des ajouts pour affiner la prise de conscience qu’il veut sans doute susciter.

D’abord, on ne doit pas passer sous silence la responsabilité première des détenteurs des pouvoirs gouvernementaux en regard des institutions politiques qui déterminent au départ l’intérêt pour la participation électorale. Les modes de scrutin ne sont pas neutres, n’ont pas tous la même valeur démocratique et n’engendrent pas tous les mêmes impacts politiques. Connaître notre système électoral et surtout reconnaître ses faiblesses sont fondamentaux quand on veut susciter une plus grande participation citoyenne.

En signant en mai 2018 le pacte électoral transpartisan qui promettait la mise en place rapide d’un système électoral moderne de type proportionnel mis au point après la Seconde Guerre mondiale en Allemagne puis ensuite entre autres en Nouvelle-Zélande et en Écosse, François Legault appuyait le triste constat que chez nous, avec le mode de scrutin en place depuis 1792, chaque vote ne compte pas. Les élections générales ne sont pas équitables ! C’était le même constat qu’avait fait en 2015 Justin Trudeau en promettant de mettre au rancart le vieux mode de scrutin britannique.

Comme l’écrivait dans La Presse, le 28 décembre, le professeur de science politique Julien Verville⁠2, auteur d’une étude sur la réforme du mode de scrutin au Québec récompensée par un prix de l’Assemblée nationale, « lors des élections générales de 2018, 54,5 % des électeurs québécois ont voté pour des candidats qui ont été défaits […]. Les citoyens qui appuient un candidat défait peuvent avoir le sentiment qu’ils ne sont pas représentés ou que leur vote est perdu (ou gaspillé) […]. Cet aspect décourage les gens d’aller voter. L’équité dans la représentation était l’une des valeurs fondamentales dans le projet de réforme du mode de scrutin », lequel a été renié cavalièrement par François Legault deux jours avant Noël et renié aussi hypocritement en 2016 par Trudeau fils.

Nous savons par l’entremise du porteur de la mauvaise nouvelle au Québec, un conseiller politique sénior du premier ministre Legault, que la raison de l’abandon du projet de réforme est que celle-ci déplaisait à une majorité de députés de la CAQ qui avaient pourtant soutenu le programme politique et les multiples promesses de leur chef.

S’agissant de cynisme, il faut rappeler que lors des premières manifestations publiques des réticences de la députation caquiste au printemps 2019, François Legault avait déclaré publiquement que renier l’engagement électoral pour cette raison serait d’encourager le cynisme des gens à l’endroit des élus politiques. Il avait alors juré qu’il ne ferait pas cela ! Mais, il l’a fait, comme Trudeau avant lui.

Au début du mois de décembre dernier, s’est tenu un grand sommet international pour la démocratie organisé par le gouvernement américain de Joe Biden. Comme contribution aux échanges et aux réflexions, le gouvernement canadien de Justin Trudeau a publié le 9 décembre un vertueux document pour promouvoir la démocratie et lutter contre l’autoritarisme dans lequel il est écrit noir sur blanc que la première étape essentielle pour qu’une démocratie progresse est la tenue d’élections libres et équitables.

Or, que dire quand Justin Trudeau et François Legault renient leur promesse de changer le mode de scrutin actuel inéquitable pour conserver la possibilité de rester au pouvoir le plus longtemps possible avec l’appui d’une minorité de la population. L’autoritarisme ne se retrouve pas uniquement dans des dictatures violentes et répugnantes. Ses germes se retrouvent aussi sous nos cieux quand les dirigeants renient leur engagement de garantir des élections équitables pour se maintenir en position de commande et diriger sans partage, au mépris des choix électoraux des populations qui ont voté majoritairement pour d’autres partis que le leur.

Dans ce contexte qui est installé depuis des générations, comment se surprendre du cynisme citoyen et du décrochage électoral ? Et que dire de l’espoir de faire de la politique autrement ?

1. Lisez l’éditorial d’Alexandre Sirois « Comme une odeur de cynisme » 2. Lisez la lettre d’opinion de Julien Verville Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion