C’est presque en catimini que le gouvernement Legault a renié son engagement de réformer le mode de scrutin au Québec. C’est le vendredi 17 décembre en après-midi, tout juste avant Noël, que le gouvernement a choisi pour confirmer qu’il abandonnait son projet de loi n° 39 et que la Coalition avenir Québec (CAQ) renonçait même à toute promesse de réformer le mode de scrutin au Québec. François Legault nous a démontré toute l’importance qu’il accordait à cet enjeu (soit aucune) en laissant un des conseillers politiques de son cabinet confirmer la nouvelle au Mouvement démocratie nouvelle (MDN) et à des journalistes.

Certains l’oublient peut-être, mais cela fait près de sept ans (en 2015) que la CAQ promet publiquement une réforme électorale. À partir de 2016, celle-ci a participé à des initiatives du MDN en collaboration avec d’autres partis politiques (dont le Parti québécois, Québec solidaire et le Parti vert du Québec) et des organisations de la société civile. En décembre 2016, ces partis ont signé une déclaration commune dans laquelle ils appuyaient une réforme du mode de scrutin (il s’agissait alors d’une première dans l’historique de ce débat). En mai 2018, les chefs de ces mêmes formations politiques ont reconfirmé cette entente transpartisane les engageant à déposer un projet de loi instaurant un nouveau mode de scrutin dans la première année du prochain gouvernement. Durant la dernière campagne électorale québécoise, François Legault a clairement promis que le nouveau mode de scrutin serait prêt pour les élections générales d’octobre 2022.

Après l’élection du nouveau gouvernement caquiste, des tergiversations furent rapidement rendues publiques et des stratégies dilatoires ont été employées pour retarder l’adoption d’une réforme du mode de scrutin. Dès décembre 2018, on évoqua que l’engagement du gouvernement Legault ne se limitait qu’à déposer un projet de loi. En mai 2019, les délais de mise en application d’un nouveau mode de scrutin présentés par Élections Québec furent utilisés par le gouvernement pour affirmer qu’il serait finalement difficile d’être prêt pour octobre 2022. En septembre 2019, lorsque la ministre Sonia LeBel présenta en Chambre le projet de loi n° 39 proposant la mise en place d’un nouveau mode de scrutin mixte avec compensation régionale, on ajouta que celui-ci entrerait seulement en vigueur à la suite de l’atteinte de deux nouvelles conditions : un référendum gagnant (devant alors se tenir en octobre 2022) et l’appui d’au moins deux partis de l’opposition. De ce fait, le gouvernement confirmait qu’il reniait sa promesse initiale. Puis, même si François Legault avait affirmé qu’on ne se trompe pas en démocratie quand on consulte la population, on confirmera l’abandon de ce même référendum dès avril 2021.

Depuis mars 2020, à peu près rien n’a été fait dans ce dossier, le gouvernement a manqué de transparence, et le projet de loi 39 est demeuré dans les limbes parlementaires.

La pandémie a souvent été invoquée pour justifier les retards, mais ce sont d’abord et avant tout les députés de la CAQ qui ont décidé de ne pas aller plus loin avec la réforme électorale (selon les propos rapportés par Jean-Pierre Charbonneau, président du MDN).

Ce sont une fois de plus les intérêts partisans qui ont été le facteur déterminant auprès du caucus des députés dans leur décision de ne pas réformer notre mode de scrutin.

Cela peut évidemment encore bouger d’ici les prochaines élections, mais les sondages politiques actuels prédisent en moyenne 47 % d’appuis pour la CAQ et une majorité écrasante de 80 % de sièges en octobre 2022. Cette éventuelle anomalie électorale (immense distorsion) sera fabriquée par notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour.

En plus de son manque de représentativité et des fortes distorsions électorales qu’il engendre (historiquement plus prononcées chez nous), rappelons que notre mode de scrutin ne permet pas une équité du résultat, puisque chaque vote ne compte pas de manière égale.

Lors des élections générales de 2018, 54,5 % des électeurs québécois ont voté pour des candidats qui ont été défaits dans leur circonscription, ce qui fait que l’ensemble des 125 députés fut élu par 45,5 % des votes valides.

Les citoyens qui appuient un candidat défait dans leur circonscription peuvent avoir le sentiment, après l’élection, qu’ils ne sont pas représentés ou que leur vote est perdu (ou gaspillé) puisqu’il n’a aucune incidence dans le résultat final à l’échelle du Québec. Cet aspect décourage les gens d’aller voter. L’équité dans la représentation était l’une des valeurs fondamentales dans le projet de réforme du mode de scrutin.

Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y ait pas vraiment eu de conversation démocratique sur cet enjeu. Le gouvernement Legault est devenu le cinquième à présenter un agenda de réformes électorales et à lui-même mettre fin au processus. Ce qui est typique au Québec, c’est que les citoyens n’ont jamais pu encore avoir le dernier mot sur la question, en comparaison des autres provinces canadiennes qui ont traité de l’enjeu. Il est vrai que pour bon nombre de Canadiens, le mode de scrutin demeure une institution invisible, dont ils connaissent peu les rouages. La pédagogie de cette question auprès du public demeure un élément clé puisque les citoyens ont tendance à donner plus de poids aux valeurs que les élites politiques. Si les citoyens réalisent qu’il y a un problème avec ce mode de scrutin et que des solutions existent, ils seront à même d’accompagner les futurs gouvernements à honorer leur engagement électoral.

Après plusieurs années de démarches, on peut comprendre l’indignation des militants et groupes qui ont participé de bonne foi et qui ont cherché à collaborer avec la Coalition avenir Québec, ceux-ci méritaient plus que l’indifférence de François Legault qui n’a pas daigné s’expliquer publiquement.

Le débat sur la réforme du mode de scrutin reviendra assurément dans l’espace public dans les prochaines années lorsque notre mode de scrutin produira à nouveau des résultats électoraux choquants pour le public. Ce recul demeure décevant, mais il existe une génération de leaders qui voudra être un jour honnête sur cet enjeu.

* Julien Verville a publié La réforme du mode de scrutin au Québec, Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion (Presses de l’Université du Québec, 2020)

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