Des voix se sont levées récemment sur l’importance de miser sur le talent québécois dans l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel. Il y a eu le plaidoyer de la doyenne de la faculté des beaux-arts de l’Université Concordia en faveur d’une stratégie nationale sur le développement du savoir-faire québécois.1

Auparavant, la productrice et animatrice Marie-France Bazzo avait interpelé le premier ministre François Legault afin qu’il se lance dans une « offensive culturelle québécoise » à la manière des Coréens ou encore des Danois qui inondent les Netflix de ce monde et démontrent, par le fait même, qu’investir en culture est payant.

L’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), qui compte plus de 800 membres, souscrit entièrement à la nécessité de soutenir le développement de nos talents locaux afin de répondre au besoin grandissant des productions étrangères qui choisissent le Québec comme plateau de tournage.

Toutefois, nous maintenons qu’une stratégie nationale de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel doit donner la priorité à la production locale pour assurer la vitalité de notre expression culturelle en créant du contenu québécois de qualité et concurrentiel sur la scène mondiale.

Pour y parvenir, nos créateurs doivent avoir accès à des outils et des moyens comparables à ceux de leurs collègues d’autres pays si on veut que nos histoires puissent rayonner. On aura beau former les meilleurs artistes et artisans, s’ils ne font que raconter les histoires des autres, ils ne feront que contribuer à la marginalisation de leur propre culture.

Typiquement, les productions américaines viennent tourner ici en monopolisant nos meilleurs techniciens, nos meilleurs équipements et nos meilleurs studios parce qu’ils en ont les moyens. Mais ils s’amènent avec leurs réalisateurs, leurs vedettes et leurs scénarios. Pendant ce temps, on met la hache dans les plus beaux rêves de nos propres créateurs pour les faire entrer dans des budgets faméliques.

Continuer à rêver

Certes notre talent et notre créativité peuvent compenser. Les miracles existent et certaines de nos productions et certains de nos créateurs réussissent à se démarquer envers et contre tous. Mais le miracle ne peut être la norme. Et ce n’est certainement pas étranger au fait que trop peu de nos œuvres télévisuelles et cinématographiques dépassent nos frontières.

Les réalisateurs et réalisatrices du Québec veulent continuer à rêver. Ils rêvent de budgets au service de leur art plutôt que l’inverse. Ils rêvent de studios consacrés à la production québécoise où on pourrait tourner 12 mois sur 12 dans un pays qui s’appelle l’hiver. Ils rêvent de décors à construire ou de décors « virtuels » qui mettraient tout le Québec en scène. Ils rêvent d’infrastructures de production vertes où l’on pourrait attirer les vedettes de la création audiovisuelle, qu’ils soient producteurs, créateurs, fournisseurs ou formateurs de main-d’œuvre. Ils rêvent d’effets spéciaux extraordinaires qu’ils ne peuvent souvent pas se payer alors que certains de leurs meilleurs artisans sont ici même et qu’ils travaillent pour d’autres.

En fait, ils rêvent d’un gouvernement qui investisse massivement dans sa culture pour que le Québec prenne sa place sur la scène nationale et internationale.

Dans l’univers actuel, « l’espace bleu », c’est la plupart du temps un petit rectangle de lumière bleutée qui retient l’attention de la population mondiale. C’est sur les écrans que se déroule la bataille culturelle. Au Canada, le plus grand diffuseur de musique s’appelle YouTube. C’est cette musique et ces images venues d’ailleurs que nos jeunes écoutent à cœur de jour. Il faut s’assurer que du contenu québécois y fasse bonne figure. Le Québec est un incubateur de talent extraordinaire. Il n’y a pas de raison pour que nous ne puissions tirer profit de cette ressource autrement que par manque de volonté politique et économique.

À l’heure où un réalisateur québécois comme Denis Villeneuve domine le box-office mondial avec une œuvre essentiellement américaine, j’invite donc notre gouvernement à rêver avec nous. Ce ne sera pas tout de former des talents, il faudra savoir les retenir en leur donnant les moyens de leurs ambitions afin qu’ils parlent de, et pour, nous.

J’envoie donc à l’intention de notre premier ministre, de notre ministre de la Culture et de tous ceux pour qui la culture québécoise revêt de l’importance ces quelques mots empruntés à l’un de nos personnages de fiction les plus connus et écrits par le réalisateur Pierre Falardeau : « Think big, stie ».

1. Lisez « Misons sur les talents et les savoir-faire d’ici » 2. Lisez le texte de Marie-France Bazzo Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion