Succombez-vous aux baskets blanches, aux survêtements rose vif ?

Avez-vous regardé, comme les fans dans 76 pays, le contenu Netflix le plus populaire au monde, la série Squid Game ? Au-delà d’un jeu cruel et fatal qui oppose les riches aux pauvres, Le jeu du calmar est surtout le plus récent fleuron du Hallyu (la vague coréenne), qui vient révéler aux yeux du monde l’emprise qu’a gagnée la culture du pays du Matin calme en quelques années.

Si des groupes musicaux comme BTS, précédés par Psy et son irrésistible Gangnam Style, des films oscarisés comme Parasite et des séries télé sont parvenus à se hisser dans le menu culturel de la planète, ça ne doit rien au hasard. Beaucoup au talent et à l’allant d’une jeune génération de créateurs, mais énormément à la volonté délibérée de l’État sud-coréen dès les années 1990 de faire de la culture la pointe de sa stratégie commerciale pour refaire l’image du pays, au-delà de l’électronique et de l’automobile.

C’est le soft power : exercer une puissance douce, culturelle et médiatique, produire une carte de visite irrésistible et doper l’image du pays et le faire rayonner. Pour ce faire, 500 millions de dollars par année sont investis par le ministère de la Culture uniquement pour stimuler l’exportation des produits culturels.

Le soft power n’est pas une stratégie nouvelle dans la guerre que se livrent les empires pour la conquête des esprits et du temps d’écran, de grandes puissances ont compris depuis longtemps qu’avec la culture, on crée une marque forte et désirable. Les États-Unis sont passés maîtres en la matière. Mais la nouveauté est que, depuis quelque temps, des petits États jouent dorénavant cette carte séduisante géomédiatique. Grâce à sa critique culturelle ironique des dérives du capitalisme, la Corée s’est taillé une place enviable en Asie face à ses voisins.

Les pays scandinaves, à coup de polars venus du froid, sont un autre bel exemple de soft power. Le cas danois est particulièrement éloquent. On songe aux polars de Henning Mankell, mais c’est surtout avec ses séries télé que ce petit pays a réussi un tour de force, celui de distiller le malaise et l’hiver danois dans le monde entier. Les séries Borgen, The Killing, Octobre, The Bridge et Equinox propulsent le Danemark. Là encore, beaucoup de talent et peu de miracles, mais une volonté claire de la part de l’État de faire apparaître sa culture au monde. Une stratégie économique et culturelle.

Je parle de Squid Game et de Borgen pour mieux parler du Québec. Nous sommes pourris de talent. Nos artistes, de Céline Dion à Cœur de Pirate, de Michel Tremblay à Xavier Dolan, de nos écrivains à nos chorégraphes, traversent les frontières. Mais ils le font surtout individuellement, ou lors de grandes manifestations. C’est d’abord leur acharnement qui les propulse.

Le Québec est une petite nation, distincte en raison de sa langue, sa nord-américanité et sa nordicité. On y produit de la culture à la tonne, et de qualité. Nous sommes dirigés par un gouvernement plutôt nationaliste, mais dont ledit nationalisme ne s’exprimera pas par la souveraineté politique. La culture québécoise pourrait être cette carte de visite qui nous permettrait de dessiner les contours d’une nation vivace et de la présenter au monde.

Le talent et le contenu sont là, la diversité des formes et des contenus aussi, qui parlent de nous, de notre unicité.

Tout ce qui manque est une réelle volonté politique, un programme concerté, cohérent et pérenne, une politique offensive de soutien et un cadre formel. Plus que les réjouissants succès individuels, il faut bâtir une suave machine de guerre culturelle. Le soft power est une façon de faire de la politique à l’échelle internationale qui sied remarquablement aux petites nations paisibles et originales. La culture attire l’attention, la renommée, les investissements et les retombées. Le Québec a tout ce qu’il faut. Nos créateurs piaffent, nous possédons des leviers politiques, pourquoi ne pas organiser et rendre durable cette offensive culturelle québécoise ?

Nous avons la chance d’avoir en François Legault un premier ministre qui aime la culture d’ici et qui est nationaliste. Tout est là. Qu’attend-il pour devenir « coréen » ou « danois » ? Son legs serait immense.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion