En réponse à l’éditorial de Stéphanie Grammond « Les médecins fantômes », publié le 17 octobre dans la section Contexte

En lisant l’éditorial de Stéphanie Grammond du 17 octobre, je me suis demandé : « Suis-je un médecin fantôme ? »

Je ne suis pas médecin de famille, mais, en tant que pédiatre, j’ai déjà fait de la prise en charge. Pour moi, c’était un travail difficile, inadapté à mes qualités et complètement différent de la médecine qu’on m’avait formé à pratiquer. Alors, j’ai cessé cette pratique pour faire des soins d’urgence en pédiatrie : un rythme complètement différent qui me va beaucoup mieux. J’ai beaucoup culpabilisé avant de prendre ma décision, j’ai eu peur de laisser tomber des patients vulnérables, et d’attiser la colère de certaines familles. J’ai travaillé fort pour m’assurer que mes patients aient les soins nécessaires après mon départ. Les gens étaient de façon générale très compréhensifs, mais je n’ai pas évité la colère de tous.

Maintenant, dans mon nouveau milieu, je travaille quand même pour la population québécoise. Je ne suis pas au privé. Je n’ai pas quitté le boulot. Quand j’entends parler d’imposer encore plus de patients aux médecins de famille qui font de la prise en charge, je pense à ce que j’aurais fait si on avait pu me forcer à continuer de faire les suivis de mes petits patients (en tant que médecin spécialiste, je n’ai pas l’obligation d’inscrire des patients comme les médecins de famille). La réponse est simple : j’aurais quitté la médecine.

Déshumanisation, coercition, intimidation

Voilà ce qui me vient à l’esprit quand nous parlons, en tant que société, de forcer des infirmières, des médecins et d’autres, qui sont des êtres humains avec des valeurs, des obligations, des rêves et tout le reste, à en faire plus qu’ils ne sont prêts à faire. Avec le marché du travail tel qu’il est aujourd’hui, et les traumatismes de cette pandémie encore à fleur de peau, vous laisseriez-vous traiter de cette façon au travail ?

La colère de ceux qui ont besoin de soins et qui attendent depuis un an leur premier rendez-vous avec un médecin qui refuse de les voir est complètement valable et justifiable. C’est une situation inacceptable. Mais pense-t-on vraiment que c’est en mettant plus de pression que nous allons faire en sorte que ce médecin se libère ? Et va-t-il le faire de façon durable, s’il le fait par peur des sanctions ou en se laissant tenter par une prime de 100 $ (ou 200 $ ou 300 $) ?

On utilise malheureusement toujours les mêmes leviers pour essayer de changer le système : l’argent et les menaces. Quand va-t-on comprendre que ça ne marche pas ?

Les voici, les questions que nous devrions nous poser. Pourquoi a-t-on à tout prix besoin d’un médecin de famille pour avoir accès aux soins ? Ce n’est pas une loi de la nature, mais bien un choix du système. Pourrait-on démédicaliser la prise en charge et l’évaluation de problèmes de santé les plus fréquents en formant et en donnant plus d’autonomie à d’autres professionnels, qui seraient appuyés au sein d’équipes si la situation devenait plus complexe ou s’ils avaient besoin de soutien ? Former des infirmières praticiennes est une excellente idée, mais pas si on les met dans exactement les mêmes circonstances de pratique que les médecins de famille épuisés, découragés, déprimés.

Peut-on finalement arrêter de s’attendre à ce qu’un seul médecin ou professionnel soit responsable de la santé de centaines d’individus ? Peut-on commencer à conceptualiser des équipes et des réseaux qui s’occuperaient de patients ? Avez-vous envie de vous faire soigner par un médecin isolé, souvent malheureux et dépassé par son travail, ou par une équipe dynamique de quatre ou cinq professionnels qui se soutiennent et qui sont motivés à s’occuper de vous, car on leur fait confiance et leur donne les capacités qu’il leur faut pour vous aider ?

Un patient est « pris en charge » par un médecin. L’expression est péjorative : une charge, c’est lourd ! Le modèle du médecin de famille qui doit tout porter et qui est l’unique porte d’entrée du système est complètement désuet.

Les médecins fantômes, ce n’est pas bien, mais un système fantôme, c’est bien pire.

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