À 75 ans passés, le couple a patienté 10 mois au guichet d’accès du gouvernement avant qu’on lui désigne un médecin de famille. Hélas, un médecin fantôme ! Depuis 12 mois, pas moyen de le voir. Malgré les appels répétés du couple, la clinique de Laval refuse de lui donner un rendez-vous pour une première consultation.

— À quand ça ira ?

— Impossible à dire. On va vous rappeler nous-mêmes, se fait inlassablement répondre le couple qui s’est rabattu sur le privé pour des tests annuels.

Cette situation totalement inadmissible n’est pas exceptionnelle.

En fait, les médecins qui acceptent de nouveaux patients ont jusqu’à un an avant de rencontrer les plus vulnérables et jusqu’à trois ans pour les autres. C’est long. Trop long.

Auparavant, les médecins devaient les rencontrer pour formaliser l’inscription, mais on a modifié cette règle qui faisait en sorte que certains patients se déplaçaient sans raison médicale.

Soit.

Mais quand un patient demande un rendez-vous, son nouveau médecin devrait lui trouver une place rapidement. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) est très claire là-dessus. Mais manifestement, son mot d’ordre ne passe pas.

La FMOQ jure que ce n’est pas l’argent qui presse les médecins à prendre de nouveaux patients sans avoir le temps de les voir, car le supplément qu’ils reçoivent pour leur prise en charge (entre 20 $ et 311 $) n’est versé que lors du premier rendez-vous. Pas lors de l’inscription.

Sauf que la rémunération globale d’un médecin est majorée de 10 % lorsqu’il atteint plus de 500 patients. Et ça, ça peut inciter certains médecins à garnir leur liste en accéléré.

1 milliard, peu de résultats

Cette histoire démontre qu’il est temps de remettre en question la stratégie de Québec qui a versé 1 milliard de dollars, sur trois ans, en mesures incitatives pour encourager les médecins à suivre plus de patients.

Toute une cagnotte !

Pourtant, le ministère de la Santé ne dispose pas de « données significatives » pour déterminer si ces mesures sont vraiment efficaces, selon un rapport du Vérificateur général du Québec1.

Certains experts estiment même qu’elles sont contre-productives : en augmentant la paie des médecins, on risque de les encourager à réduire leur cadence de travail puisqu’ils peuvent ainsi atteindre le niveau de rémunération qu’ils ont en tête en travaillant moins.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Chose certaine, la prise en charge des patients stagne. Québec avait promis que 85 % des Québécois auraient un médecin de famille en 2017, puis en 2019. La pandémie n’a pas aidé, mais on reste loin du compte, à 80,8 %.

Le pire, c’est que ce chiffre masque une partie du problème, car bien des patients qui ont un médecin de famille n’arrivent pas à obtenir un rendez-vous. Le petit a une otite ? Les parents se tournent vers le privé. Ou ils aboutissent aux urgences.

En fait, les trois quarts des patients (72 %) qui se rendent aux urgences pour un problème de santé peu urgent ont bel et bien un médecin de famille. Alors que les hôpitaux craquent de partout, ça n’a pas de sens !

Si on veut désengorger le système, il faut améliorer l’accès aux médecins de famille.

Que faire, Docteur ?

Or, le nombre de Québécois inscrits au Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) a carrément doublé depuis trois ans. Déplorable.

Quelque 857 000 patients – un record absolu – poireautent en moyenne 455 jours pour les plus vulnérables et même 604 jours pour ceux qui ne le sont pas. C’est plus d’un an et demi !

À la recherche d’un remède temporaire, la Montérégie a mis en place un projet pilote pour recommander les patients à un médecin… en attendant qu’on leur trouve un médecin de famille. Un guichet pour désengorger un autre guichet !

Mais il faudra bien trouver des solutions à plus long terme.

Des pistes ?

Les médecins devraient favoriser la téléconsultation.

Adapter leur horaire à la demande (par exemple : toujours plus forte de janvier à mars).

Laisser tomber les rendez-vous annuels pour les patients de moins de 50 ans et plutôt optimiser les visites impromptues en en profitant pour renouveler les ordonnances.

Au lieu de remplir leur agenda à ras bord pour six mois, les médecins devraient garder le quart de leur temps pour accueillir les patients qui ont des urgences.

Pour vaincre la réticence des médecins qui craignent de se retrouver avec un horaire vide, le gouvernement a développé Rendez-vous Santé Québec, un système informatisé de rendez-vous centralisé qui permet d’aiguiller les patients orphelins vers un médecin à proximité qui a une case libre dans son horaire. Une bonne idée qui tarde toutefois à s’implanter.

Mais ultimement, il faudra un jour revoir le mode de rémunération des médecins. Le paiement à l’acte et les primes de toutes sortes sont devenus un spaghetti d’une complexité indigeste.

Il serait plus simple de miser sur la « capitation » et payer les médecins en fonction du nombre de patients. Mais encore faudra-t-il s’assurer qu’ils font le suivi sans tourner les coins ronds.

Sinon, on se retrouvera avec encore plus de médecins fantômes.

Consultez le rapport