Les sociétés humaines comme celles des chimpanzés sont des sociétés politiques. Comme chez les humains, la politique chez les chimpanzés comprend les coalitions de mâles, les renvois d’ascenseur, les alliances qui se font et se défont, l’intimidation et autres coups fourrés qui sont très communs pendant nos campagnes électorales. Que voulez-vous ? Quand il y a de la politique, il y a des patates chaudes dans les bouches, des couteaux dans le dos, des peaux de banane sous les pieds, des salades qui se racontent et un peuple qui se fait souvent rouler dans la farine.

J’ai écouté attentivement le débat animé de main de maître par Pierre Bruneau et j’ai noté quelques points dont je voudrais vous faire part.

Taxer les autruches ou les ultrariches ?

Je sais que je ne suis pas bien placé pour rire de l’accent de quelqu’un, car même Siri ne comprend pas les trois quarts des choses que je lui demande. Mais quand Jagmeet Singh parlait de taxer les ultrariches, son accent faisait que je comprenais qu’il voulait faire payer les autruches. Sérieusement, je me suis demandé pendant quelques secondes pourquoi les autruches devraient payer des taxes au Canada.

Cela dit, peut-être que la chose est prémonitoire, car s’il y a une certaine ressemblance entre les autruches et les ultrariches, c’est leur extraordinaire capacité à cacher leurs œufs. Une sagesse de nos anciens dit de l’autruche qu’elle est capable de cacher son nid dans un marché sans qu’on s’en aperçoive. Pour les ultrariches, c’est pareil, M. Singh. Ils excellent dans l’art de dissimuler leurs billes, mais surtout de ne jamais les mettre dans le même panier.

Aujourd’hui, ces ultrariches sont difficiles à pourchasser, car ce sont des nomades. Des apatrides qui peuvent changer de pays comme on change de chemise. D’ailleurs, François Hollande a déjà joué dans le film que Jagmeet Singh se prépare à scénariser. Le président Hollande venait de commencer sa traque quand il a réalisé que ses cibles décampaient massivement de la France pour migrer vers des pays où la chasse aux autruches était interdite. Tout ça pour dire que même si je suis parfaitement en accord avec cette promesse du NPD, Jagmeet devra attacher son turban avec de la broche, car il va affronter un vent de face qui décoiffe.

Justin dégaine contre les antivax

Pendant que Jagmeet Singh jette son dévolu sur les ultrariches, Justin Trudeau décide que pour renverser la tendance, il faut s’acharner sur les antivax qu’il tient responsables du prolongement de la pandémie. Il a même dit qu’on pourrait en finir avec la pandémie sans cette minorité qui nous tient en otage et qu’il n’hésite plus à instrumentaliser dans une stratégie de politique de division (wedge politics) en parlant désormais de droits de la collectivité. Où est passé le grand chantre de la Charte de son paternel et qui a souvent associé les droits collectifs à la tyrannie de la majorité ?

Si vous voulez trouver l’erreur ici, pensez au côté addictif du pouvoir dont le sevrage réserve son lot d’anxiété et de vide existentiel. L’histoire de ce mâle chimpanzé qui s’est laissé mourir de faim après avoir perdu son trône est un édifiant exemple de cette traversée du désert tant redouté quand on a goûté à cette drogue.

Cela dit, même si Justin s’acharne sur les antivax pour en finir avec la pandémie, comme il le dit, la vérité, c’est que le virus n’en a cure de sa campagne électorale. Au contraire, il mute constamment dans l’énorme réservoir représenté par les pays en développement qui doivent attendre qu’on prenne notre troisième et peut-être notre quatrième dose avant d’avoir leur première. Autrement dit, rien n’empêche la nature de nous sortir d’une quiétude temporaire en nous envoyant un variant qui déjoue cette immunisation. Oui, il faut prendre des mesures pour inciter fortement à la vaccination ! Mais non, ce n’est pas une bonne idée d’en faire un outil de wedge politics au service de la quête du pouvoir.

Quand Blanchet rencontre O’Toole

Pendant ce débat, nous avons eu droit aussi à une classique stratégie de manipulation par le radotage signé Erin O’Toole. Ce conditionnement par la répétition doit en partie à la méthode du biologiste russe appelé Ivan Pavlov. Il faut leur répéter indéfiniment que tu as un plan et un contrat avec le Québec et ils vont finir par associer ton visage souriant à ces projets, si mystérieux et invisible soit-il. Permettez-moi de retourner chez les grands singes pour mieux visualiser cette dualité entre Yves-François Blanchet et O’Toole.

La première fois que la reine Victoria a croisé le regard d’un chimpanzé, c’était vers 1835 pendant une exposition organisée à Londres. Un spectacle devant lequel la souveraine aurait déclaré : « C’est douloureusement et atrocement humain. » Pourquoi la reine a-t-elle trouvé le spectacle douloureux ? C’est parce qu’elle avait probablement détesté se reconnaître dans ce grand singe, dit le primatologue Frans de Waals. La reine Victoria a vécu le choc de celui qui se croyait fils unique et qui réalise à 60 ans qu’il a un frère qu’il ne connaissait pas.

Ce que je veux dire par là, c’est que les bloquistes aussi se sont réveillés avec l’énorme surprise d’avoir devant eux une excroissance du Parti conservateur pas génétiquement, mais politiquement modifiée pour venir jouer dans leurs platebandes.

Ce qui semble leur poser un gros problème surtout quand François Legault se tient cette fois-ci à égale distance des deux porteurs décomplexés du néonationalisme québécois.

Voilà donc ce qui m’a interpellé dans ce débat. Maintenant, tout le monde cherche un vainqueur, mais à mon avis, le grand gagnant de ce débat est François Legault à qui on a déroulé le tapis rouge et lancé des fleurs pendant toute la soirée. À un moment donné, je me suis même demandé si se vanter d’être dans les bonnes grâces de Legault faisait office de sceau papal pour pouvoir monter en chaire en toute quiétude et plaider son programme.

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