D'après vous, les décisions prises au Sommet sur l'enseignement supérieur auront-elles plutôt un impact positif ou négatif sur les universités québécoises et leurs étudiants?

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel



LE CONSENSUS DE LA MÉDIOCRITÉ

L'impact de ce Sommet aura été essentiellement négatif pour les universités et leurs étudiants. Premièrement, non seulement le sous-financement de l'enseignement universitaire n'est-il pas réglé, il s'aggrave avec des compressions de 250 millions de dollars. De nouvelles sommes sont promises... dans plusieurs années. Pendant qu'on fait le choix de la médiocrité au Québec, l'enseignement dans les autres universités canadiennes sera constamment mieux financé que dans les nôtres. Deuxièmement, l'indexation des droits de scolarité n'est même pas suffisante pour maintenir la part des étudiants dans le financement de leurs universités, selon l'économiste Pierre Fortin. Autrement dit, les universités se retrouvent de plus en plus en situation de dépendance envers une seule source de revenu : les fonds publics de l'État liés aux aléas politiques. C'est sans doute pourquoi on a vu les directions accepter de nouvelles exigences de gouvernance et autres petites vexations. Enfin, les droits de scolarité demeurent uniformes, peu importe le domaine d'étude. Alors que les futurs médecins ne paient que 13% de leurs coûts de formation, les étudiants en sciences humaines en assument 40%. L'équité des droits modulés a été laissée de côté pour une solution mur à mur, pour servir le dogme inefficace de l'universalité.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



ASCENSION D'UNE COLLINE

Il était essentiel pour le gouvernement de régler la question des droits de scolarité pour éviter un nouveau « printemps érable ». L'indexation de ces droits constitue la seule vraie conclusion du Sommet. Essentielle, mais très limitée. On n'a pas monté l'Everest, on a escaladé une colline montérégienne. De là, on aperçoit de vastes chantiers sur l'enseignement postsecondaire. Ces chantiers auraient dû se tenir logiquement avant le sommet. Toutefois, il fallait de toute urgence prévenir la crise qui menaçait de resurgir à propos de droits de scolarité pour l'année 2013-2014. Les vrais enjeux de l'enseignement supérieur sont pelletés vers les chantiers, qui - nous en sommes avertis - demeureront consultatifs. Pendant ce temps, les universités subiront des coupes budgétaires : pas de quoi améliorer la formation. À peu près tout le monde veut rendre l'université « accessible ». On parle de la « juste part » du financement, mais peu de l'offre des programmes universitaires, de leur qualité, des leurs résultats en ce qui concerne les emplois, la satisfaction personnelle, l'apport à la société.  L'indexation des droits de scolarité ne règle absolument pas les questions fondamentales concernant l'enseignement supérieur. Espérons que les chantiers serviront à bâtir des fondations solides, pas des cabanes branlantes et provisoires.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



IL RESTE À TROUVER L'ARGENT

Plusieurs décisions ont été prises durant le sommet et, si elles sont effectivement toutes mises de l'avant (ce dont je doute fort, compte tenu des sommes en jeu), le milieu de l'enseignement supérieur en sortira grandement amélioré. Tout d'abord, en ce qui a trait à la gestion et à l'administration des institutions, la création d'une loi-cadre pour les universités ainsi que la mise en place du Conseil national des universités devraient réduire le nombre de décisions pour le moins douteuses prises par les équipes de gestion. Le scandale du CUSM, l'îlot Voyageur et l'interminable saga du CHUM ne représentent que quelques exemples de cas où les universités ont dilapidé des fonds qui auraient pu être beaucoup mieux investis. En outre, le désir de faire le point sur l'offre de formation collégiale au Québec témoigne de la volonté de rendre le système plus flexible, moins sclérosé et mieux adapté, ce qui est fort souhaitable. Au niveau financier, le fait de réviser la formule de financement des universités et la promesse de plancher sur les frais institutionnels obligatoires (frais afférents), le tout combiné à une volonté d'améliorer l'aide financière devraient favoriser l'accessibilité aux études, ce qui est absolument essentiel. Pour terminer, l'embauche de professeurs, de chargés de cours, ainsi que de techniciens, d'auxiliaires et d'employés de soutien améliorera les conditions de travail autant pour les élèves que pour les membres du personnel, ce qui optimisera la qualité des services et, on l'espère, la valeur des diplômes tant convoités.  Les idées sont là, la volonté aussi : il reste à trouver l'argent pour tout mettre ça en place.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP



NOYER LE POISSON

Le simulacre de réflexion collective sur notre enseignement supérieur est terminé. L'impact positif est essentiellement politique : le gouvernement Marois peut maintenant se targuer d'avoir mis un terme à la crise étudiante. Il a également profité de ce Sommet pour se débarrasser de son gênant carré rouge en donnant la fausse impression qu'il a tenu tête aux associations étudiantes en décrétant une hausse ridicule des frais de scolarité de 70 $ par année. Encore mieux, en annonçant cinq chantiers interminables, il enclenche une course aux rentes qui devrait occuper nos grands groupes d'intérêt pendant quelque temps. En somme, ce Sommet n'aura produit aucune réforme tangible. Nos universités demeurent sous financées et doivent aujourd'hui se contenter d'engranger les déficits dans l'attente d'une promesse de réinvestissement futur. Les dindons de cette monumentale farce? Les contribuables et les étudiants. D'abord les contribuables, qui devront régler la note de ce vaste exercice de relations publiques et qui devront continuer à défrayer pratiquement seuls les coûts de nos universités. Ensuite les étudiants, qui aujourd'hui se bercent d'illusions, mais qui réaliseront tôt ou tard que ce sont eux les premières victimes de notre sous-investissement dans l'enseignement supérieur. Bref, un autre de ces sommets qui aura permis à nos politiciens de noyer le poisson pour se redonner une virginité politique.

Pierre Simard

Guy Breton

Recteur de l'Université de Montréal



COMPRESSIONS INQUIÉTANTES

Le Sommet a réglé la question des droits de scolarité. Le problème du financement de nos universités, lui, reste entier. Comme citoyen, je me réjouis du retour au calme. Mais comme recteur, je m'inquiète des compressions budgétaires qu'on nous impose, et qui creuseront le fossé qui nous sépare de nos comparables du reste du Canada, à plus d'un milliard de dollars année après année. Un milliard, c'est 25 % de moins qu'ailleurs au pays. Voulons-nous des universités à 75 %? C'est la question que nous devrions nous poser, à l'aube des chantiers qui mobiliseront la grande communauté universitaire québécoise. Je ne vous cacherai pas ma préférence pour le quatre quarts! Et si la société québécoise partage mon point de vue, alors il faudra trouver rapidement une formule qui pérennise de façon durable le financement de nos établissements. Quant aux autres décisions prises au Sommet, je salue la création annoncée d'un Conseil national des universités, tout en mettant en garde le gouvernement contre une bureaucratisation de la gouvernance universitaire. En outre, j'estime que la reddition de comptes devrait s'exercer pour l'ensemble des rôles de l'université, pas seulement pour les données financières. Car l'université est bien plus qu'une colonne de revenus et de dépenses.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Guy Breton, recteur de l'Université de Montréal.

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital 



LES ÉTUDIANTS ÉCOPERONT

Quelles décisions?  De tenir des assises et des chantiers?  Encore une fois, le gouvernement en place a esquivé les vraies questions pour maintenir, à la suite de la menace de rompre la paix sociale, le statu quo bénéficiant aux groupes de pression qui se sont acquis au fil des années des privilèges aux dépens de la classe moyenne.  Nos élus succombent au clientélisme et reportent les problèmes à plus tard en échange (on en récompense) de l'appui de ces groupes aux élections.  La plupart de nos universités n'ayant vraiment qu'un client qui paie la très grande majorité de la note (le ministère), elles auront un puissant incitatif à plaire à leur maître pour obtenir plus de revenus.  Puisque les étudiants ne sont que des « bénéficiaires » d'un système d'enseignement quasi monopolisé du primaire à l'université et non les clients d'un véritable marché concurrentiel entre les institutions d'enseignement ayant un incitatif d'offrir à leur clients-étudiants la meilleure éducation possible au plus bas prix, on peut comprendre que les arbitrages effectués par le marché soient remplacés par des arbitrages politiques.  Hélas, les perdants à long terme de ce marché politique à court terme seront justement les étudiants instrumentalisés par les politiciens pour être réélus.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean Bottari 

Préposé aux bénéficiaires



VERS UN AUTRE PRINTEMPS ÉRABLE

Les universités québécoises ont été laissées à elles-mêmes trop longtemps. Leurs dirigeants n'ont eu d'autres choix que de rivaliser d'imagination afin de trouver des sources de financement afin de pallier au fait que les gouvernements, tous partis confondus, n'accordaient pas ou si peu d'importance à l'éducation supérieure. Étant presque laissées pour compte, nos universités ont misé principalement sur le recrutement massif d'élèves afin de combler le vide financier créé par Québec. Du même coup, les CA ont dépensé à tous vents les profits afin, disent-elles d'attire les meilleurs dirigeants ainsi que leur nombreux assistants et personnel de soutien. Avant même de songer à augmenter les droits de scolarité, le gouvernement devrait s'assurer que ses universités sont gérées de façon saine et respectueuse de la capacité de payer de la collectivité. Ce n'est pas en multipliant les chantiers ou les consultations ni en augmentant les frais de 3% par année que Québec en arrivera a une relative paix sociale avec les étudiants. En tant que simple observateur, je ne crois pas que les mesures proposées jusqu'à maintenant puissent faire en sorte que tous seront satisfaits. Bien au contraire, il me semble que la confrontation entamée sous le précédent gouvernement ne fera que s'accentuer et nous plongera probablement vers un autre printemps érable.

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



NAGER LES POINGS LIÉS

Ce Sommet était nécessaire et utile, d'abord pour calmer le jeu, ensuite pour établir un plan de discussion des principaux enjeux. Sans conteste, le dénouement est habile politiquement : certaines orientations comme l'indexation des frais de scolarité sont déjà définies, la mise en place de chantiers laissent présager des propositions constructives. Mais au final, il faut bien voir que seules les propositions concernant la gouvernance des universités ont des chances de donner des résultats, telles une loi cadre ou un Conseil des universités. Bien. Mais à cause du carcan budgétaire, rien ne viendra améliorer la formation et la recherche d'ici 2018. Bien au contraire, les coupes prévues viennent annuler toute possibilité d'expansion pour au moins cinq ans. Au passage, l'entente entre le gouvernement Marois et les recteurs pour atténuer l'impact des compressions de 250 millions de dollars en étalant les déficits n'est que pur artifice comptable. Par expérience, je sais que l'on est train de revivre la très difficile période 1996-2000. Bref, à cause de cette politique du déficit zéro, ce Sommet n'aura réussi qu'à générer des procédures de reddition de comptes.

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM

UN MONDE DIVISÉ

La décision d'indexer les droits de scolarité au coût de la vie et de créer cinq chantiers de discussion, dont un sur la gouvernance des universités, a permis au gouvernement minoritaire de Mme Marois de calmer la grogne des étudiants et de gagner un temps précieux et qui lui est compté. Pour les universités, ces décisions sont déplorables, et leur effet à court et moyen terme très négatif. Car, à l'issue de ce Sommet, où on a plutôt fait le procès de notre enseignement supérieur, le monde universitaire est apparu plus divisé que jamais. Des clivages artificiels ont été établis entre enseignement et recherche, entre universités dites d'excellence et universités de premier cycle, entre universités et cégeps, entre étudiants-professeurs et cadres administratifs, entre étudiants de première génération et les autres, entre francophones et anglophones etc. Ainsi affaiblies aux yeux du grand public, les universités doivent constamment justifier ce qu'elles font plutôt que de se consacrer à répondre aux grands enjeux auxquels elles doivent maintenant faire face. Privées de l'appui de leurs étudiants, qui semblent vouloir faire de l'université le lieu privilégié de la lutte des classes, les universités sortent de cet exercice sans boussole et sans avoir pu faire la preuve de leur pertinence sociale. Comment s'étonner ensuite que les contribuables refusent de débourser davantage pour la formation supérieure de leurs enfants ?

Yolande Cohen

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UNE VICTOIRE QUI RESSEMBLE À UNE DÉFAITE

En tant qu'ex-leader étudiant, je suis fier de la victoire des étudiants sur le plan financier, mais triste du piètre spectacle donné par les dirigeants universitaires, qui doivent assumer une double défaite. La première étant reliée au sous-financement qui durera encore pendant au moins deux ans; et la deuxième, elles subiront un nouvel encadrement bureaucratique avec la création d'un Conseil national des universités. Les recteurs, mal préparés et très mal conseillés, ont en effet sous-estimé l'influence des étudiants depuis le début des consultations pour le Sommet sur l'enseignement supérieur et ont brûlé le peu de capital de sympathie qu'ils pouvaient avoir avant le sommet. Difficile d'être plus déconnectés de sa clientèle étudiante et des professeurs qui y enseignent. Seuls aux barricades du sous-financement des institutions universitaires, les recteurs ont perdu sur toute la ligne et malheureusement, c'est la crédibilité de nos universités qui vont s'en ressentir à court terme. Les divergences étaient trop profondes entre les petites universités publiques et les grandes universités privées. Les premières ont davantage le souci du service à la collectivité, tandis que les secondes se préoccupent surtout de leurs fonds de recherches et de leur rayonnement international. Dans tout ce débat, l'université en tant qu'institution est la grande perdante, car elle a manqué un rendez-vous avec l'histoire et n'aura pas, encore pour quelque temps le respect qui lui est dû dans l'avancement du savoir et des connaissances.

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Jean Baillargeon