Quelles sont vos attentes pour le Sommet sur l'enseignement supérieur qui aura lieu lundi et mardi? Comment le gouvernement Marois peut-il en faire un succès?

Joëlle Dupont

Étudiante en sciences humaines au cégep de Lanaudière



OÙ EST L'AUDACE?

Peu de mots peuvent décrire ma déception face à la direction que prend ce sommet, mais surtout mon incrédulité! Car de prime abord, un seul constat me saute aux yeux : aucune des positions exprimées dans les médias, qu'elle soit présentée en ou hors sommet, ne me paraît acceptable! Le gel, la gratuité, l'indexation, la hausse, ou la modulation par programme : voilà les seules propositions débattues. On admet qu'aucune n'est parfaite et on tente de trouver le pis-aller. Comme si l'éventail des possibles s'arrêtait là! Comme si elle n'existait pas, la solution parfaite! Où est l'audace? Où est l'innovation? La créativité? Les idées? Proposition 1 : des droits de scolarité modulés selon le revenu familial (calcul semblable à celui utilisé pour les prêts et bourses, appliqué au calcul des droits de scolarité). Proposition 2 : maintenir les droits de scolarité très bas (en les indexant au salaire minimum, que gagne la grande majorité des étudiants), en échange de quoi le diplômé s'engage à travailler au Québec durant les cinq années suivant son entrée sur le marché du travail, et durant lesquels il paye un «impôt spécial» supplémentaire de 1% à 2% sur sa tranche de revenu annuel excédant 20 000$. Des idées, des idées, il y en a des tas! Qu'on cherche, qu'on creuse un peu!

Joelle Dupont

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



CUL-DE-SAC

Mes attentes ne sont sûrement pas celles que souhaitent les organisateurs de ce Sommet. Je m'attends à des manifestations bruyantes et probablement à quelques arrestations musclées. Je m'attends à ce que des points de vues irréconciliables soient présentés, de part et d'autre, de sorte que le Sommet prendra fin sans consensus. Je m'attends aussi à ce que le résultat des discussions ne plaise vraiment à personne, ce qui engendrera une certaine grogne dans la population. On s'entend déjà pour dire que la « solution » sera mi-figue, mi raisin. On ne s'engagera pas vers la gratuité totale et on ne rejoindra pas non plus la moyenne canadienne en ce qui a trait aux droits de scolarité universitaires. Selon moi, on tentera de déplaire à peu près également à tout le monde. Après le Sommet, les gens de droite, le patronat en tête, traiteront Mme Marois et M. Duchesne de mous, de marionnettes des syndicats, de pleutres à plat-ventre devant de jeunes irresponsables et trop gâtés. Les gens de gauche, L'ASSÉ en tête, traiteront Mme Marois et M. Duchesne de vire-capot, de marionnettes du patronat et de traîtres qui refusent aux jeunes le droit d'étudier sans trop s'endetter. Je ne vois aucune avenue qui puisse faire de ce sommet un succès.

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



SOIGNER L'ABCÈS

Dés le départ, j'ai eu l'occasion de dire que le processus était trop expéditif. L'occasion était magnifique de discuter de la pertinence des orientations que les universités ont choisies dans les dernières décennies. Mais les discussions ont beaucoup tourné autour des droits de scolarité, de l'accessibilité des étudiants au premier cycle et du sous-financement possible des universités. Le système universitaire est complexe et on aurait eu intérêt à mieux l'expliquer. Par exemple, tout un pan de la vocation universitaire est resté dans l'ombre médiatique : c'est celui de la recherche et de la formation des étudiants au niveau de la maîtrise et du doctorat. Dans plusieurs départements, l'énergie productive des professeurs réguliers est désormais assignée essentiellement à la recherche. Et l'expansion des universités passe d'abord et avant tout par la création de laboratoires prestigieux. Aucune discussion sur le financement universitaire ou sur la gouvernance ne tiendra la route si on n'inclut pas le très important poste de la recherche. Cela dit, je crois que cet exercice aura eu le mérite de crever l'abcès, de démystifier les pratiques de la tour d'ivoire. Dans un contexte où le déficit zéro occupe tout l'espace politique de ce gouvernement, la meilleure stratégie consiste à reprendre chacun des points importants avec les acteurs concernés. Les Assises sur la recherche sont un exemple.

Raymond Gravel 

Prêtre dans le diocèse de Joliette



UNE PARTICIPATION ESSENTIELLE

Je crois que ce Sommet sur l'éducation supérieure ne peut régler tous les problèmes, mais je suis persuadé que ce peut être un exercice pour permettre aux personnes concernées par l'éducation de se rencontrer. Personnellement, je suis pour la gratuité scolaire, mais je sais également que dans la conjoncture actuelle, nous sommes loin de la coupe aux lèvres. Ça ne veut pas dire qu'on doive boycotter ce sommet; ça veut dire qu'il faut en parler. Je suis un peu déçu de l'attitude de certaines associations étudiantes qui refusent de participer à ce sommet parce qu'elles ne peuvent obtenir ce qu'elles demandent. Dans la vie, il y a un temps pour contester et manifester, et il y a un temps pour participer et construire... Je crois que nous en sommes rendus là. Le gouvernement du Parti québécois est de bonne foi en matière d'éducation. Comme il est minoritaire, il ne peut tout faire. Il faut l'aider et lui faire confiance. Nous ne pouvons nous permettre de vivre un autre printemps érable. Il faut garder à l'esprit l'objectif de la gratuité, mais prenons le temps de la réaliser. Comme le dit bien le dicton : laissons au temps, le temps de faire son temps!

Raymond Gravel

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



L'ÉCHEC DU MUR À MUR

Le Sommet sur l'enseignement supérieur oppose différents groupes organisés aux intérêts divergents. Ces groupes ont abondamment pris position dans l'espace public, ce qui leur laisse peu de marge de manoeuvre pour accepter autre chose que ce qu'ils réclament. Bref, le gouvernement pourra difficilement trouver un terrain d'entente qui convienne à tous sur le plan du financement des universités et des droits de scolarité. Mais pourquoi tente-t-on encore de trouver une solution mur à mur? Les universités sont diverses, les régions du Québec ont leurs spécificités, les étudiants ont des besoins variés. Les groupes qui prendront la parole ne représentent qu'une partie des opinions multiples et nuancées de leurs membres. La clé du succès serait de respecter le principe de subsidiarité et de laisser plus de liberté aux universités dans la fixation de plusieurs éléments clés, dont les droits de scolarité. Toutes n'ont pas les mêmes priorités et ne répondent pas aux mêmes besoins. Chaque université tiendra ses débats internes selon sa réalité, pour concilier sa mission aux attentes de sa clientèle. Voilà une avenue élégante de respecter chacun en s'évitant un psychodrame national. Le Sommet devrait fixer le cadre général de ces discussions internes, et non fixer un moule unique pour tous.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



MONTER L'ÉVEREST EN UNE JOURNÉE ET DEMIE

Dans une allocution durant les rencontres préparatoires au sommet, le ministre Duchesne a dit que « la réflexion devra faire une place à l'action ». Cette réflexion sera-t-elle assez aboutie après un sommet aussi bref pour conduire à des actions bien avisées? Le programme du Sommet s'avère trop ambitieux. Comment peut-on espérer discuter des sujets aussi complexes que la qualité de l'enseignement, l'accessibilité et la participation aux études supérieures, la gouvernance et le financement des universités, la contribution des établissements et de la recherche au développement du Québec et arriver à des solutions réalisables? Tout cela en présence de plus de 300 personnes représentant de nombreux organismes et en une journée et demie. Le sommet risque se transformer en volcan tant « les partenaires » ne sont pas sur la même longueur d'onde. Par exemple, les associations étudiantes et les recteurs expriment des points de vue très divergents sur le financement. Si quelque consensus se dégage, tant mieux, mais il est utopique de penser que tous les thèmes, ou même la majorité, l'atteindront. Pour éviter les déceptions trop amères, les critiques, voire des moqueries et demeurer crédible, le gouvernement devrait saisir les éventuels consensus, mais surtout élaborer un canevas pour des discussions futures.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse



SOMMET OU MASCARADE?

La population a raison d'être sceptique à propos du Sommet sur l'enseignement supérieur qui se déroulera pendant deux journées seulement. C'est court pour discuter de tous les enjeux importants qui seront mis sur la table : financement des universités, qualité de l'enseignement, frais de scolarité, accessibilité aux études supérieures, etc.. Comment peut-on prétendre sérieusement, même après quelques journées de préparation en vue du Sommet, faire le tour de la question en si peu de temps? Il s'agit pourtant de l'avenir économique et culturel de notre société et du rôle que le Québec pourra jouer sur la scène internationale. On dirait bien que les dés sont pipés et que les décisions sont déjà prises par le gouvernement qui veut seulement les faire entériner par l'ensemble des acteurs du milieu de l'enseignement supérieur. Dans ce contexte, les étudiants, les recteurs et les syndicats ont raison d'être réticents à se présenter à ces journées de relations publiques. Puisque l'ensemble du budget de l'éducation ne sera pas majoré pour tenir compte des nouveaux défis qui incombent à l'enseignement supérieur, il y aura forcément des gagnants et des perdants. S'agit-il vraiment d'un sommet où tout est sur la table ou d'une mascarade orchestrée pour faire avaler des pilules difficiles à digérer par certains intervenants du monde de l'enseignement supérieur? C'est pourquoi je n'attends rien de bon de ce sommet.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



FAIRE PREUVE DE COURAGE

Nombreuses ont été les consultations publiques et les sommets par le passé. Celui-ci axé sur l'éducation supérieure nous laissera t-il sur notre faim comme plusieurs autres? Certes, nous devons laisser la chance au coureur avant de juger. L'intention est bonne mais les élus se laisseront-ils influencer comme c'est souvent le cas par les décideurs du milieu, ou écouteront-ils les étudiants? Le financement public des universités sera probablement l'un des enjeux centraux de cette discussion. Or, le gouvernement Marois fera t-il comme bien d'autres l'ont fait avant lui, c'est-à-dire faire la sourde oreille aux moyens proposés par les associations étudiantes afin de faire des économies substantielles dans les frais de gestion? Des dizaines de millions pourraient ainsi être économisés et réinvestit en services directs aux étudiants. Mais encore faudra t-il que le gouvernement fasse preuve de courage afin d'en arriver là. Courage dont je doute de la part de ce gouvernement.

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM



LA QUADRATURE DU CERCLE

Si le Sommet sur l'enseignement supérieur ne peut pas ignorer les revendications du mouvement étudiant, le gouvernement Marois se doit de répondre aux attentes, souvent contradictoires, de la population. La quadrature du cercle. L'absence de l'ASSÉ du Sommet, bien que prévisible, constitue déjà un premier échec à la stratégie bonne-ententiste avancée par le gouvernement Marois depuis son élection. D'aucuns pensent donc qu'en l'absence de la fraction la plus radicale du mouvement étudiant, le compromis tant espéré sera plus facile à réaliser. Rien n'est moins sûr. Alors que les manifestations du mécontentement étudiant se poursuivent, les questions cruciales qui secouent le monde universitaire ne seront pas pour autant abordées au Sommet. D'ailleurs, toute l'attention se focalise sur les questions du mode de financement des universités (capacité de payer des contribuables, des étudiants eux-mêmes, modulation selon les programmes, hiérarchisation des universités entre elles), de gouvernance et de démocratie étudiante, alors que le problème majeur est celui de savoir quelle conception de l'université on se fait aujourd'hui. Aussi, la mesure du succès est-elle fort relative : pour le gouvernement minoritaire de Mme Marois, il suffit que le Sommet ait lieu.

Yolande Cohen

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UN DÉBUT ET NON UNE FIN

Le Sommet sur l'enseignement supérieur doit être le début d'une réflexion et non une fin en soi pour l'avenir de nos universités. Mme Marois a l'humilité et le sens de l'écoute, je sais qu'elle trouvera des compromis sur de nombreux problèmes de l'enseignement supérieur, à savoir le manque de professeurs, l'absence de concertation entre les universités et le problème de financement à court et moyen terme. Je suis déçu de constater le manque d'imagination des solutions proposées jusqu'à maintenant. Tout se passe comme si ce sommet était celui de la défense des intérêts corporatistes de chacun des groupes représentés qui travaillent chacun en silos. Aucun groupe ne semble défendre la qualité de la formation actuelle et le rôle important que jouent les universités dans l'avancement de la société québécoise. La mission universitaire est passée sous le tapis au profit de savoir qui à court terme doit payer pour étudier à l'université. Sur cette question, je suis partisan d'une approche modulée, gratuité scolaire engagée pour les étudiants qui s'impliquent dans leurs communautés, indexation et gel dans les programmes de formation peu coûteux et augmentation de ceux qui sont dispendieux et qui apportent un bon revenu à la sortie de l'université. Espérons que ce débat continuera malgré tout après le Sommet...

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Jean Baillargeon