On dit souvent que la Saint-Valentin est devenue une fête trop commerciale. Si c'est le cas, a-t-elle encore sa raison d'être?

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

ESPOIRS ET PRESSION

La fête de Saint-Valentin, comme celle de Noël, crée des attentes. À Noël, on s'attend à recevoir des cadeaux et on en dresse même la liste : c'est la tradition. À la Saint-Valentin, on s'attend à recevoir du chocolat, des fleurs, des bijoux... Même les enfants, qui n'ont souvent pas de Valentin, s'attendent à recevoir des cadeaux : bonbons, toutous, etc. Ce sont des clichés et, selon moi, ça confère à cette fête un certain côté quétaine, mais c'est la Saint-Valentin... En fait, je crois que c'est une fête qui préoccupe les femmes différemment des hommes : les femmes craignent d'être oubliées par leur Valentin et les hommes craignent d'oublier leur Valentine. En cas d'oubli, elles ne le pardonneraient pas facilement... À la Saint-Valentin, les femmes ont donc des espoirs et les hommes ont de la pression. Pour éviter les cataclysmes, les hommes achètent donc ce qui est nécessaire pour « prouver leur amour »... Un petit quelque chose pour madame, un pour chaque enfant, un pour la gardienne, un pour la secrétaire au bureau... À mon avis, la Saint-Valentin est un événement beaucoup trop commercial et, personnellement, je la rayerais du calendrier. Je trouve que l'effet est plus réussi quand on offre des fleurs, du chocolat et des bonbons lors d'une journée ordinaire, alors que personne ne s'y attend. Ça prouve alors qu'on pense à l'autre personne sans que tous les magasins aient insisté pour nous pousser à y penser.

Francine Laplante

Femme d'affaires



UNE FÊTE D'AMOUR

Les actualités regorgent de mauvaises nouvelles. Comment ne pas sombrer dans la déprime et perdre confiance et espoir devant tant de mauvaises nouvelles? Comment peut-on renouer avec la solidarité et retrouver ne serait-ce que la moitié des valeurs véhiculées dans notre société par nos ancêtres? Nous avons l'occasion rêvée en ce jour de la Saint-Valentin de faire un premier pas vers notre prochain. La Saint-Valentin, c'est la fête des amoureux. Pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour exprimer toute notre gratitude à nos enfants, à nos parents, à notre famille, à nos collègues de travail, à nos voisins, au commis à l'épicerie, au chauffeur d'autobus?  Pourquoi ne pas prendre le temps de sourire et dire un merci sincère et chaleureux à la dame qui nous servira le café? Pourquoi ne pas prendre le temps de téléphoner et de parler de vive voix à un ami que l'on n'a pas vu depuis des siècles, simplement pour prendre de ses nouvelles? L'amour peut prendre une multitude de formes : il peut s'exprimer par la plus belle bague à diamant ou par le plus coûteux des parfums, mais l'amour, le véritable amour, se révèle surtout dans la sincérité des gestes que nous posons en  regardant dans les yeux la personne qui nous est chère. En posant de petits gestes de rien du tout, en s'intéressant aux êtres humains que nous côtoyons, en exprimant nos sentiments et en disant des : «Je t'apprécie, Tu es important pour moi, Merci pour tout ce que tu fais pour moi, Ta présence me fait du bien». Nous contribuerons de façon certaine à redorer le moral de notre société en général parce que nous aurons fait plaisir à plusieurs personnes qui auront envie à leur tour de faire plaisir... Un simple sourire à un être fragile peut assurément lui redonner le goût de se battre et retrouver le chemin du bonheur. Il ne faut jamais sous-estimer l'impact d'un tel geste, aussi banal soit-il. C'est donc avec un grand sourire et beaucoup d'affection que je vous souhaite une joyeuse Saint-Valentin!

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



UN SEUL JOUR POUR CÉLÉBRER L'AMOUR?

Quand on s'aime, on n'a pas besoin de se rabattre sur une date fixe pour se le rappeler. D'ailleurs, pourquoi le 14 février? Dans la Rome antique, il s'agissait d'une fête très païenne de l'amour et de la fécondité pendant laquelle des célébrants nus poursuivaient les femmes en les frappant de lanières de peau d'un bouc sacrifié pour stimuler la fertilité féminine. Au Moyen Âge, ces célébrations, renommées « la Saint-Valentin », se sont assagies : les billets doux échangés entre les amoureux ont remplacé la fête débridée. De nos jours, les dieux païens et les Saints ont cédé la place au Dieu de la consommation. Plusieurs semaines à l'avance, les annonces dans les journaux, les décorations dans les centres commerciaux et les étagères dans les pharmacies nous rappellent nos devoirs d'amoureux ou d'amoureuse. On nous convie à infliger à l'élu(e) de notre coeur un repas au restaurant (bondé), de lui offrir des chocolats et de faire la queue chez le fleuriste. Cette obligation de fêter me déplaît, surtout si je constate une évidente fièvre commerciale. Pourquoi ne pas présenter à la personne aimée des petits cadeaux, des fleurs ou des sorties, pas nécessairement au restaurant, à l'improviste?

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke



LES AFFAIRES ET LES AMOURS!

Décidément, la Saint-Valentin ne fera jamais l'unanimité! Pendant plusieurs années, les critiques portaient sur son caractère trop ponctuel, à la limite quétaine! On disait que si une hirondelle ne faisait pas le printemps, une journée ne saurait suffire à exprimer ou à résumer les relations amoureuses entre deux personnes. Aujourd'hui, c'est son caractère devenu trop commercial qu'on vise : trop de fleurs, trop de chocolat, trop de cadeaux, etc. Mais, ne dit-on pas la même chose de Noël et en passant, combien de fêtes « pures » peuvent prétendre être encore à l'abri de ce caractère commercial? La réalité est que, pour un très grand nombre de commerçants, notamment les propriétaires et travailleurs dans le domaine de l'hôtellerie, la fête de la Saint-Valentin représente une très belle occasion d'affaires, et en termes de revenus, cette fête constitue une part non négligeable dans leur bilan annuel. Elle souligne aussi la reprise des affaires et de l'achalandage après l'accalmie qui caractérise la période d'après-Noël. Alors, qu'on soit de ceux qui soulignent la Saint-Valentin ou non, celle-ci demeure incontournable, ne serait-ce qu'à cause de son apport économique. Comme quoi ce n'est pas toujours vrai que les amours et les affaires ne font pas bon ménage!

Photo

Khalid Adnane

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM



OUI!

Dans un monde désacralisé, de nouveaux rituels se faufilent lentement mais sûrement dans les espaces laissés par la religion et la tradition. L'amour pour son prochain professé par les églises n'a plus la cote dans l'espace public et médiatique. Ce sont les amours et désamours des stars, ces dieux du stade et de la télé, qui sont désormais représentés et adulés tous les jours de l'année. Ce n'est qu'à l'occasion de la Saint-Valentin que tous les couples connaissent leur petit moment de vertige amoureux, aux yeux les uns des autres. Certes, on peut dire que les dieux de la consommation nous permettent tous ensemble de communier au rituel de l'amour universel, en achetant fleurs et chocolats aux êtres aimés. Tous, hommes et femmes de toutes les catégories sociales et de toutes les origines, se précipitent dans cette course au petit cadeau qui fera plaisir ou qui scellera l'union et parfois la désunion. Serait-ce la marque de la démocratisation de l'amour courtois dans nos sociétés avides de bonheurs ? On peut toutefois se demander si, à l'autel de l'amour, tout le monde est égal.

Yolande Cohen

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse



LE DÉFI DE CÉLÉBRER L'AMOUR

L'amour toujours. Ces deux mots sont indissociables dans le coeur des aimants. Ils résonnent longtemps en choeur. Malheureusement, ce sentiment si noble, si humain, si unique, est parfois galvaudé et utilisé par la société marchande qui trouve là un moyen de s'enrichir facilement. La fête de la Saint-Valentin devient ainsi un jour de mise en marché d'objets censés représenter l'amour. Les vrais amoureux n'ont pas besoin d'une journée désignée pendant l'année pour prouver leurs sentiments à leur âme soeur. Ils le font continuellement sans obligation sociale. Ils n'apprécient surtout pas d'être pris en otages annuellement du devoir de faire étalage de leur passion à leur partenaire par une fête commerciale. Par contre, pourquoi bouder son plaisir? Si l'on est vraiment amoureux, on peut retourner contre lui-même l'aspect marchand de la fête et inventer une manière toute personnelle de souligner cette célébration de l'amour. Le sentiment amoureux est à la source de nombreuses oeuvres artistiques. En laissant de côté la perspective mercantiliste de la Saint-Valentin, voyons plutôt cette journée comme un défi d'inventivité pour montrer de façon la plus créative possible la plus belle dimension de l'être humain.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



TROUVEZ-VOUS QUELQU'UN À AIMER!

Chaque année, Cupidon fait rappliquer ces bonnes âmes dont l'ambition dans ce monde est de définir le comportement de tout un chacun. Peu importe l'événement - Noël, la Saint-Valentin ou l'Halloween - il y a toujours quelqu'un pour dénoncer le caractère commercial des fêtes populaires. Ces gens réclameraient une intervention de l'État bienveillant pour encadrer la cupidité commerciale des amoureux que je n'en serais pas surpris... Mais de quoi se mêle-t-on? Vous êtes libre de fêter la Saint-Valentin comme vous le voulez. La façon dont vous soulignez cette fête ne regarde que vous; c'est un choix personnel qui n'est imposé par personne. Que le culte de Cupidon exprime le culte de la cupidité, je n'en ai rien à cirer! De toute façon, il n'y a rien de plus égoïste que l'amour. L'amour n'est pas un acte désintéressé, pas plus qu'on aime par altruisme. Et encore, l'amour n'est pas donné, il se gagne. La Saint-Valentin est donc l'occasion d'investir dans votre bonheur : le moment de célébrer le plaisir égoïste d'être amoureux et de se rapprocher de l'être aimé. Ce n'est surtout pas le temps d'inviter des rabats joies dans votre lit. La Saint-Valentin vous rend malade? Vous voulez vous soigner? Trouvez-vous quelqu'un à aimer!

Pierre Simard

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



TRÈS POSITIF

Tout dépend de ce que l'on entend par une fête devenue «trop commerciale». Le commerce, c'est-à-dire l'échange volontaire et mutuellement bénéfique entre diverses personnes est une chose fort positive. Si la Saint-Valentin nous donne l'occasion de nous remémorer qu'il faut prendre le temps de souligner l'amour que l'on éprouve pour certaines personnes et si, par la même occasion, des fleuristes et des chocolatiers font des affaires d'or, je dis bravo. Et si l'amour d'aucuns est fléchissant ou incertain, et que cela les mène à offrir des cadeaux de dernières minutes de façon froide, automatique et mécanique, alors, ce n'est pas le «commerce» qui est à blâmer.