Remporter les Jeux olympiques pour un pays de 17 millions d'habitants serait déjà exceptionnel. Mais le faire en remportant toutes ses médailles dans une seule discipline... Ce serait un peu gênant.

Hier, avec 17 médailles, les Pays-Bas avaient le plus de médailles parmi tous les pays, jusqu'à ce que les danseurs sur glace russes permettent à leur pays de les dépasser.

Certes, il y a beaucoup d'épreuves. Mais personne n'a huit médailles ici: le talent est distribué!

On s'attend toujours à ce que les Néerlandais dominent au patinage de vitesse, me direz-vous.

À vrai dire, eux-mêmes sont renversés de la tournure des événements.

Considérez le nombre de médailles néerlandaises aux Jeux précédents: Lillehammer: 4, Nagano: 11, Salt Lake City: 8, Turin: 9 et Vancouver: 8.

On en est à 16 en longue piste et une en courte piste; et il reste une possibilité théorique de huit médailles en longue piste: 10 000 m hommes aujourd'hui, 5000 m femmes demain, et les deux épreuves de relais par équipe. Pas si théorique que ça, parce que l'or est à leur portée dans les quatre cas.

Ajoutons à ça la courte piste, où l'on espère encore beaucoup de la phénoménale Jorien Ter Mors, qui s'est payé dimanche l'or et un record olympique au 1500 m... longue piste, mais sans passion véritable.

«J'aime vraiment mieux la courte piste, la longue piste ne me rend pas heureuse, je ne me suis presque pas entraînée pour la longue piste, seulement deux fois pour ce 1500 m», nous a-t-elle dit innocemment, dimanche.

La championne du monde Ireen Wust pouvait bien pleurer sur sa médaille d'argent...

Soyons sérieux, il n'est pas vraiment question que les Pays-Bas «remportent» les Jeux, vu les médailles qu'il reste à distribuer. Mais le simple fait qu'il faille le préciser nous dit l'ampleur inattendue des succès de ces patineurs.

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On connaît les conditions historiques du développement de ce sport pratiqué sur les étangs et les canaux gelés qui traversent tout le pays, la tradition nationale, l'incroyable popularité du sport là-bas.

Sauf que tout ça, c'est très ancien.

Les résultats sont stables depuis 20 ans. Pourquoi ce soudain succès, ces trois podiums entièrement orange (du jamais vu)?

Comment passer de 8 médailles à Vancouver à 20 ou 23 à Sotchi?

Bart Schooten, un Néerlandais devenu entraîneur au Canada (notamment de Denny Morrison), a quelques explications.

D'abord, le développement des clubs professionnels organisés est relativement nouveau. Un peu sur le modèle des équipes de vélo, cette demi-douzaine d'équipes de quatre à six patineurs d'élite organise des rencontres. Cette élite, dont les meilleurs sont à Sotchi ces jours-ci, gagne très bien sa vie.

«Sven Kramer (or au 5000 m) est une grande vedette, il ne gagne sûrement pas autant que Sidney Crosby, mais il gagne beaucoup d'argent.»

Ces clubs n'existent dans la forme actuelle que depuis quatre ans. On en a créé pour les femmes, ce qui a stimulé la compétition encore davantage.

Autre phénomène, les Néerlandais ne méprisent plus le sprint.

«Dans mes premières années comme entraîneur aux Pays-Bas, j'étais entraîneur au 500 m et on me disait: qu'est-ce qu'un gars talentueux comme toi fait au sprint? Tu devrais entraîner les longues distances!» Le 5000 m, le 10 000 m, ça, c'est du patin!

Jamais les Néerlandais n'avaient remporté de médaille d'or au 500 m avant Sotchi - où les hommes ont raflé le podium au complet.

Autre élément: les autres pays empilent les contre-performances.

Les Américains ne sont nulle part. Le Canada, qui a eu d'excellentes performances par le passé, a perdu ses grands champions et n'en a pas formé de nouveaux encore.

Wotherspoon, Le May Doan, Hughes, Klassen (commotion cérébrale l'automne dernier), tous les grands noms des années 2000 n'y sont plus.

«On est en transition», dit Schooten.

Une transition difficile dans un pays où patin égale hockey.

«Pourtant, la transition se fait très bien du hockey au patin de vitesse: Cindy Klassen a été retranchée de l'équipe de hockey féminin et est devenue une des meilleures patineuses de vitesse au monde un an et demi plus tard. C'est le message que nous devons passer: il nous faut des talents.»

Une fois qu'on y a goûté, qu'on saisit la grâce des mouvements, la fluidité des gestes, on n'en sort pas: c'est le plus beau sport qui soit, me dit l'entraîneur Schooten...