Je me demande si, en attendant son procès pour une fraude croquignolette de 100 millions, Ronald Weinberg y pense, des fois.

Si Micheline Charest et lui n'avaient pas été aussi obsédés de fric, s'ils avaient seulement fait un chèque à Claude Robinson en 1996, ou 1997, ou 1998... ils seraient probablement encore multimillionnaires. Ils valaient des centaines de millions!

Ah, vous me direz: s'ils avaient été moins voleurs, ils auraient vraiment payé Robinson quand ils ont produit la série de dessins animés Robinson Sucroé.

C'est vrai, après tout: pourquoi aller s'inventer un faux auteur français (Christophe Izard), blanchir l'oeuvre, la diffuser en risquant de se faire poursuivre? Ils auraient quand même fait plein d'argent avec ça s'ils s'étaient contentés de donner sa paye à Robinson. S'ils ont fait «tout ça», justement, c'est pour accaparer la plus grande partie des droits, tout simplement...

Tenons pour acquis qu'ils sont voleurs. Ils n'avaient même pas besoin d'un sursaut moral. Une fois poursuivis, il suffisait de s'asseoir avec Robinson pour lui offrir un règlement. Même pas besoin d'honnêteté: une calculatrice aurait suffi.

Le type réclamait 2,5 millions en 1996. Il aurait réglé l'affaire pour bien moins, j'imagine.

Mais non! Au lieu de ça, les Charest-Weinberg se sont enfoncés dans une cascade de mensonges. Robin qui? Connais pas. On n'a jjjjjamais vu ses dessins!

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On a oublié ce qu'était Cinar à la fin des années 90: 200 employés, 1,6 milliard de capitalisation boursière. Un très, très gros succès d'affaires, collé sur le pouvoir libéral à Ottawa, vedette en Bourse, et tout ça dans un domaine tellement cuuute: des dessins animés pour les z'enfants. Pensez donc!

Comment voulez-vous que ce dessinateur hirsute ait la moindre chance?

Ils ont donc nié.

Et lui, la fourmi, l'hirsute, seul dans son bureau, s'est mis à décortiquer dans le détail tout ce que produisait Cinar. Personne au monde ne fait des choses comme ça. Je veux dire: personne n'étant pas domicilié dans un institut psychiatrique. Il ne s'est pas seulement intéressé à «son» oeuvre plagiée; il a décortiqué toutes les productions. Le nom des auteurs et des artisans.

On connaît la suite: Robinson découvre que des prête-noms canadiens ont signé des oeuvres d'Américains que produisait Cinar, permettant ainsi de frauder le fisc et divers organismes.

Le scandale éclate, les vérificateurs débarquent, Charest et Weinberg sont mis à la porte de leur propre société.

En 2000, les actions de Cinar ne valent plus un kopek. La compagnie se met à scruter les livres comptables. Et découvre en plus un détournement de fonds de 122 millions, orchestré notamment par le couple.

Ça devenait pas mal moins cute.

Tout ça pour un chèque pas fait à ce barbu obsessif...

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Micheline Charest est morte sur la table d'opération lors d'une chirurgie esthétique. Weinberg est maintenant accusé de fraude pour ce détournement.

Il suffisait de faire un petit chèque à Robinson... Un ou deux millions... Des pinottes!

Il les aurait laissés tranquilles. Personne n'aurait découvert les prête-noms. Pas si vite, du moins. Les fraudes auraient continué tranquillement, à l'insu d'actionnaires heureux... Tout se serait sans doute perdu dans les brumes des règles comptables, de problèmes de gestion, va savoir...

Le couple a réglé le dossier en douce avec les autorités fiscales et de réglementation de la Bourse. Un arrangement tellement scandaleux qu'il a tué l'ancienne Commission des valeurs mobilières, et donné naissance à l'Autorité des marchés financiers.

Mais avec Robinson? Rien du tout.

La nuit, ou même en plein jour, Weinberg y pense-t-il? Se dit-il: ah, le con, le con... Un chèque de rien... Je serais encore roi du monde!

Le plus beau, les compagnies d'assurances ont versé plus de 10 millions en honoraires d'avocats à ceux qui ont défendu les sociétés poursuivies par Robinson. De l'argent qui a servi à fouiller de superbes questions de droit, n'en doutez pas, mais qui a aussi servi de barrage judiciaire. De l'argent totalement gaspillé dans une cause générée par un vol, achevée 18 ans trop tard.

De l'argent gaspillé parce que deux personnes n'en avaient jamais, mais vraiment jamais assez.

Avides jusqu'à ne même plus pouvoir investir dans une fraude à long terme...

Si ça n'avait pas duré si longtemps, on pourrait en faire une fable sur le goût immodéré de l'argent, l'insondable bêtise humaine et la persévérance insoupçonnable des fourmis.

Il y aurait même un semblant de morale.

Juste un chèque... Un foutu chèque...