On n'ira pas prétendre que c'est la fin formidable d'une triste histoire. C'est la conclusion assez juste d'une affaire qui a duré injustement et bien trop longtemps.

C'est déjà ça.

En 2011, la Cour d'appel du Québec avait divisé par deux l'indemnisation décidée par un premier juge, en 2009 (elle était passée de 5,2 à 2,7 millions). Si bien qu'au final, vu les honoraires et autres frais, Robinson se retrouvait avec une victoire purement morale: oui, on reconnaissait qu'il s'était fait voler, mais il ne lui restait rien quand même! On avait l'impression d'un jugement qui disait essentiellement: oui, oui, on a copié vos trucs, mais vous en mettez un peu trop dans le rôle de la victime...

Il faut dire qu'après le jugement très cinglant du juge Claude Auclair, en 2009, qui parlait de «bandits à cravate et en jupon», tout autre jugement pouvait avoir l'air mièvre. Le juge Auclair avait l'avantage d'avoir vu ces voleurs en personne, jour après jour...

Hier, la Cour suprême a redonné l'essentiel des sommes à Claude Robinson. Il n'a pas retrouvé tout ce que le premier juge lui avait accordé, mais la plus grande partie. Le plus haut tribunal redit donc la gravité de l'affaire et la valeur du droit d'auteur.

Robinson retrouve principalement deux choses: 2,2 millions de profit tiré de son oeuvre, que lui avait retirés la Cour d'appel, et la reconnaissance de la gravité de la violation de ses droits par ceux qui l'ont volé: les dommages punitifs sont rehaussés.

Pendant des années, Ronald Weinberg, Micheline Charest et Christophe Izard, le prétendu auteur de Robinson Sucroë, ont nié avoir même été en contact avec l'oeuvre de Robinson.

Ils ont «décrié avec mépris» cette affirmation, année après année, note la juge en chef Beverley McLachlin, qui rédige le jugement pour la Cour. La preuve était pourtant accablante: Charest et Weinberg avaient été embauchés pour en faire la promotion dans les années 1980!

Pour toutes ces manoeuvres frauduleuses et la persistance à mentir, le juge Claude Auclair, clairement scandalisé, avait accordé une somme record de 1 million à titre de «dommages punitifs». La Cour d'appel avait ramené cette somme à 250 000$.

Au Québec, c'est à peu près le maximum qui est habituellement donné à ce chapitre. Les dommages «punitifs» sont une exception à notre droit, qui veut qu'on ne compense que les dommages réellement subis. Ce concept est plus familier aux Américains, et l'on voit souvent des jurys accorder des sommes délirantes à ce chapitre pour dénoncer un comportement particulièrement irresponsable.

La Cour suprême vient de rehausser cette somme à 500 000$, ce qui est colossal à l'échelle du droit québécois. C'est une façon de dire que si le juge Auclair a pesé trop fort sur la plume, la Cour d'appel n'a pas pris la juste mesure de toute la fourberie des Weinberg et Charest.

Devant la Cour suprême, les voleurs avaient changé leur version. Ils reconnaissaient maintenant avoir eu un contact avec l'oeuvre. Ils admettaient même les similarités entre le projet de Claude Robinson, Robinson Curiosité, et l'oeuvre effectivement produite par Cinar, Robinson Sucroë.

Mais voilà, des centaines de personnes se sont inspirées de Robinson Crusoë et les similitudes sont le fruit du hasard.

On se demande pourquoi ils ont menti si longtemps, si tout ceci n'était qu'un malencontreux hasard...

Quoi qu'il en soit, la Cour suprême confirme l'analyse du premier juge: la structure de l'émission, le caractère du héros, celui des personnages, le style graphique de divers éléments de ce dessin animé: tout cela est bien typé, même si de nombreuses différences séparent les oeuvres.

Ça servira aux futurs auteurs plagiés.

La cause est hors norme, parce qu'elle implique plusieurs multinationales et des sommes importantes. Elle est aussi emblématique de la crise d'accès à la justice. La justice se trouve encore largement incapable de protéger les citoyens contre les abus légalement habiles de la procédure.

Imagine-t-on combien de millions en avocats ont été dépensés pour ne pas donner son dû à Claude Robinson? Certainement bien plus que les 2,5 millions qu'il réclamait en 1996.

On retrouve le même genre de disproportion dans des causes de 300 000$. C'est à cela que tentent de s'attaquer les systèmes de justice partout au pays. On n'y parviendra que si on contrôle le débit des actes de procédure - et donc les honoraires d'avocats.

Malgré sa qualité, le jugement d'hier montre bien ce problème. La Loi sur le droit d'auteur prévoit que le demandeur se fait rembourser ses honoraires s'il démontre qu'il a été plagié. Cette règle, malheureusement, n'existe pas dans le Code civil, qui régit les causes ordinaires devant nos tribunaux. Ce serait un moyen de ralentir les ardeurs de ceux qui plaident de mauvaise foi.

Quoi qu'il en soit, la Cour suprême accorde 1,5 million à Robinson pour ses honoraires jusqu'à la fin du procès qui a duré... 83 jours. Mais rien en appel.

Pourquoi? Parce qu'en appel, les défendeurs avaient des points de droit valables à soulever, dit la Cour suprême. Bien entendu. Mais ils avaient aussi des points de droit valables au procès. Sauf que ces points de droit étaient ceux d'un groupe où se trouvaient les voleurs de son oeuvre. Et que Robinson devait y répondre, à grands frais, aux deux paliers d'appel. Comment se fait-il que ces gens-là n'aient rien à rembourser là-dessus, quand ils plaidaient l'absence de plagiat encore en Cour suprême (en reconnaissant finalement avoir été en contact avec l'oeuvre, ce qu'ils ont nié sous serment à qui mieux mieux!)?

Autrement dit, la justice pour Robinson est restaurée sur papier, aujourd'hui. Mais ce fut au prix d'efforts surhumains, et parce qu'un cabinet (Gowlings) a financé la poursuite de Robinson.

C'est donc une victoire qui illustre la défaite silencieuse et pas spectaculaire du tout de la justice ordinaire.

L'illustration par l'absurde de ce qu'il faut réparer dans notre justice. Car comme l'a dit cet automne le juge Thomas Cromwell (un des signataires du jugement d'hier à la Cour suprême), l'inaccessibilité de la justice civile et familiale est un grave problème. En fait, écrivait-il, «la situation actuelle est intenable».

yboisvert@lapresse.ca