Pour un coup fumant, c'en est tout un. On ne s'attendait pas à voir Jacques Duchesneau débarquer au gouvernement du Québec pour devenir le symbole de la lutte contre la corruption.

L'ancien chef de police de Montréal, candidat déçu aux élections municipales de 1998, a été un de ceux qui ont attaché quelques gros grelots dans le dossier de la corruption municipale, l'an dernier. On savait qu'il parlait en connaissance de cause quand il disait qu'une poignée d'entrepreneurs, toujours les mêmes, se passent les contrats publics à Montréal (et ailleurs).

 

Il sait aussi mieux que quiconque, comme ancien patron de la police, les liens qui unissent le crime organisé et certains entrepreneurs qui huilent le système et entretiennent quelques personnages-clés de la politique ou de l'administration.

Quand il réclamait une commission d'enquête sur l'industrie de la construction, pas plus tard que l'automne dernier, il le faisait donc avec beaucoup d'autorité et de crédibilité. Et le voici qui vient travailler au ministère visé par les plus grands soupçons de collusion, dans ce gouvernement qui refuse toute enquête.

A-t-il changé d'idée? Pas du tout, nous dit-il. Il ajoute que cette commission sera «peut-être éventuellement la solution», mais que pour l'instant, il préfère s'attaquer à la mise sur pied de son équipe «anticollusion».

«Si c'est pour se servir de moi comme caution morale, je leur ai dit que je n'étais pas intéressé; j'ai passé 40 ans à bâtir ma réputation. J'ai accepté parce que je vais avoir les moyens et le soutien de la ministre. J'avais le choix de continuer à jouer au gérant d'estrade ou de faire ma part. J'ai décidé d'être cohérent avec toute macarrière.»

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Qu'il le veuille ou non, monsieur Net devient de facto une caution morale pour le gouvernement. Ça ne veut pas dire que c'est une mauvaise idée. Mais politiquement, c'est clairement un outil formidable pour le gouvernement Charest. À lui tout seul une machine à ne pas faire de commission d'enquête.

Maintenant, que fera-t-il exactement? Cette «unité» qui relèvera de la ministre Julie Boulet, quelle sera sa fonction exacte? Ses pouvoirs?

Il y a encore beaucoup de flou. Jacques Duchesneau nous dit qu'il dirigera des avocats, des juricomptables, des économistes, des fiscalistes, des techniciens, mais sans en préciser le nombre.

«C'est une partie d'échecs qui commence et les gens auxquels nous nous attaquons ont les moyens d'avoir les meilleurs avocats, notaires, comptables, etc. Nous devons avoir une équipe qui peut leur faire face. On s'apprête à donner pour 4,2 milliards de contrats. Les enjeux sont considérables. Et moi, je ne m'en vais pas là pour me faire des amis!»

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Mais que fera-t-il au juste, puisque son équipe n'aura aucun pouvoir policier (fouille, perquisition, etc.)? Il s'agit essentiellement d'un travail d'analyse et de surveillance, apparemment. Le but étant de détecter la collusion entre entrepreneurs et de mettre fin au contrôle des marchés et des prix.

N'y a-t-il pas déjà une agence fédérale, le Bureau de la concurrence, dont c'est le mandat, et qui, elle, a des pouvoirs policiers?

Oui, mais l'unité Duchesneau entend travailler «en amont», c'est-à-dire avant que les contrats soient donnés. «On m'a assuré que je pourrais avoir des contacts réguliers et échanger de l'information avec l'escouade Marteau», qui enquête dans le domaine. S'il y a une preuve de crime, c'est à cette escouade qu'on passera l'information.

Il faudra à l'unité de M. Duchesneau commencer par comprendre le ou plutôt les systèmes, établir les acteurs, et éventuellement prendre des mesures: annulation d'appels d'offres, radiation de certains entrepreneurs, plaintes à la police, etc. Elle a déjà pour commencer le rapport 2009 du vérificateur général, qui montrait clairement l'existence de mécanismes illégaux de contournement des appels d'offres.

Ce matin, cette unité n'existe que sur papier. Elle a un nom, elle a un chef crédible plein d'enthousiasme, d'ambition et de bonnes intentions. Mais elle a tout à faire et tout à prouver.

«Je m'embarque dans un voilier, mais je ne sais pas à l'avance où je vais accoster», nous dit le capitaine.

Quelle que soit sa destination, Jacques Duchesneau a une obligation de résultat. Justement parce que c'est lui, la barre est haute. On n'acceptera pas qu'il soit avalé par la bureaucratie analytique. Car alors, il n'aurait servi que de paravent. Comme ce n'est pas son genre, on s'attend à des résultats concrets. En béton, pour ainsi dire.

yves.boisvert@lapresse.ca