Dix ans déjà que le scandale Norbourg éclatait ! 130 millions envolés en fumée. Plus de 9000 investisseurs sur la paille. Une crise de confiance majeure dans le grand public.

Le scandale a aussi révélé les failles du Fonds d'indemnisation des services financiers (FISF) qui n'a dédommagé que 10 % des victimes. Dix ans plus tard, devinez ce qui a changé dans ce fonds ? Rien !

Oh, il y a eu plusieurs vagues de consultations, plusieurs rapports remis au gouvernement. Mais rien ne s'est concrétisé. Que se passe-t-il ? Sommes-nous les rois du taponnage au Québec ? Ou alors n'avons-nous aucune réelle volonté d'améliorer la protection des épargnants ?

Discrètement, au printemps dernier, le ministère des Finances a lancé une nouvelle consultation... une heure avant que l'Assemblée nationale prenne congé, forçant les intervenants à concocter leur mémoire en plein été.

Québec met pourtant la table à des changements considérables dans son document de consultation*. Par exemple, on parle de dépecer la Chambre de la sécurité financière (CSF) qui joue un peu le rôle d'un ordre professionnel pour plus de 30 000 représentants de l'industrie financière. Ce n'est pas rien ! J'y reviendrai plus loin.

À lire le document, on constate que l'harmonisation des règles avec celles du reste du Canada et l'allégement du fardeau réglementaire pour les entreprises est au coeur des préoccupations de Québec. Mais pour la protection des investisseurs, c'est moins clair.

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D'accord, Québec envisage une bonification du Fonds d'indemnisation. Il est question d'indemniser les victimes d'un conseiller dûment certifié, même s'il a commis une fraude dans un domaine qui n'est pas relié à son permis (ex. : le placement au lieu de l'assurance).

Voilà une très bonne nouvelle, car il s'agit du principal motif de refus d'indemnisation en ce moment. Dans un monde de plus en plus complexe et multidisciplinaire, on ne peut pas demander aux investisseurs de démêler quel représentant a le droit de vendre quel produit.

Mais il faudrait allez plus loin, car le fonds comporte bien d'autres lacunes. Pour vous donner une idée, le FISF a reçu des réclamations de 8,5 millions de dollars en 2014-2015, mais n'a versé que 453 000 $. C'est presque 20 fois moins ! Ça fait beaucoup de victimes qui restent sur leur faim.

Ne devrait-on pas élargir la couverture du FISF aux fautes lourdes ? Il est vrai que les cas de fraudes font couler beaucoup d'encre, mais les cas de grossière négligence causent beaucoup plus de pertes.

Or, les fonds d'assurance responsabilité qui couvrent les erreurs des professionnels refusent de plus en plus de payer dans les cas de faute lourde, arguant qu'il s'agit d'agissements intentionnels.

Comme la ligne est bien mince entre la fraude et la faute lourde, l'investisseur se retrouve alors coincé entre deux fonds qui ne veulent pas l'aider ni un ni l'autre.

Apparemment, Québec n'a pas l'intention de colmater cette brèche. Pas plus qu'il ne semble vouloir étendre la couverture du FISF aux gestionnaires de fonds, ce qui aurait permis d'indemniser les victimes de Norbourg.

Pas question non plus de venir en aide aux épargnants qui ont confié leurs économies à un malfaiteur sans aucun permis, comme Earl Jones. Ces cas représentent environ le tiers des réclamations.

Ceci dit, il vaut probablement mieux que le fonds ne couvre pas les épargnants qui n'ont pas pris des précautions de base. Une protection tous azimuts risquerait de devenir un bar ouvert pour la fraude.

Ici, la solution se trouve davantage du côté de la prévention. Et à ce chapitre, l'AMF a fait un bon bout de chemin. Depuis 2010, l'Autorité scrute le web pour détecter les petites annonces et les sites web douteux. Plus de 400 dossiers ont été traités en cinq ans. Cette approche permet de mettre le public en garde, d'agir avant que le fraudeur ne cause trop de dégâts.

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Mais revenons à la Chambre de la sécurité financière...

Québec songe à lui retirer l'encadrement des courtiers en épargnes collectives (spécialistes de la vente de fonds communs) pour confier le mandat à l'Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM), comme c'est le cas partout ailleurs au Canada.

Les investisseurs lésés pourraient alors être couverts par le fonds de l'ACFM. Mais ce fonds couvre seulement en cas d'insolvabilité d'une firme. Pas en cas de fraude. Et les démarches pour être dédommagé sont plus lourdes. Pour le consommateur, ce serait donc un recul.

Bien sûr, cette harmonisation pancanadienne plairait aux grandes firmes qui font affaire d'un océan à l'autre.

En démantelant la Chambre de la sécurité financière, on ferait une croix sur le principe de la multidisciplinarité qui était l'objectif même de la création de la Chambre il y a plus de 15 ans.

Comme la CSF supervise les représentants de différents domaines (fonds communs, assurance, plans de bourse, etc.), elle agit comme un guichet unique pour le consommateur. Un gros avantage, surtout que de nombreux représentants portent plusieurs chapeaux.

Démanteler la Chambre paraît donc assez incongru alors qu'on s'entend pour dire que la multidisciplinarité est essentielle dans le mécanisme d'indemnisation. Si on se retrouve avec deux fonds, les investisseurs ne sauront plus à quel saint se vouer. Il risque d'y avoir encore plus de trous dans la couverture.

S'il faut alléger le fardeau réglementaire, on devrait plutôt peaufiner le modèle québécois, qui est en avance sur le reste du pays, en tablant sur l'expertise de chez nous.