Quand j'entends Ottawa dire qu'il n'est pas question de colmater les trous de nos régimes de retraite publics, je crains que nos vieux jours ressemblent au pont Champlain.

Voilà des années qu'on discute des failles de notre système de retraite. Mais au lieu d'apporter les correctifs nécessaires, on préfère pelleter les problèmes en avant. Plus on attend, plus ça se dégrade. Et dans 40 ans, la solution coûtera encore plus cher. Gageons qu'il faudra commander une super-poutre en catastrophe pour que ça tienne debout!

Parmi les ministres des Finances des provinces réunis ces derniers jours au lac Meech, il y avait pourtant un consensus très clair pour bonifier le Régime des pensions du Canada (RPC) et son équivalent au Québec, le Régime des rentes du Québec (RRQ). Mais comme le fédéral est farouchement contre, c'est l'impasse.

Dans ce contexte, Alban D'Amours reprend son bâton du pèlerin. Il veut vendre au reste du Canada l'idée de sa rente longévité. Cette rente qui serait versée à tous les travailleurs à partir de 75 ans jusqu'à la fin de leurs jours était la pièce centrale du rapport déposé en avril dernier par son comité d'experts mandaté par Québec.

«Notre rente longévité, nous y croyons encore fermement. Elle doit inspirer le Québec et les provinces, soutient M. D'Amours. Convainquons le reste du Canada que c'est la voie à suivre. Ce n'est pas parce qu'Ottawa dit non que tout s'arrête. Le débat dure depuis des années. Et il va se poursuivre.»

Traduit dans la langue de Shakespeare, le rapport D'Amours «circule» à Ottawa et à Toronto. «Vous direz que je suis optimiste, mais je pense que le «momentum est en train de se bâtir», avance l'ancien patron du Mouvement Desjardins.

«Le Québec pourrait faire cavalier seul, enchaîne-t-il. Mais on convient tous que l'approche optimale serait que le Canada dans son ensemble adopte cette voie-là.»

Plusieurs provinces prônent la bonification pure et simple du RPC/RRQ. Certaines voudraient doubler le régime. Les prestations permettraient ainsi aux retraités de remplacer la moitié de leurs revenus d'emploi, contre seulement le quart en ce moment, jusqu'à concurrence d'un salaire de 51 100$. Les retraités pourraient donc recevoir jusqu'à 24 300$ par année, au lieu d'un maximum de 12 150$ présentement.

Mais une bonification de la RRQ a plusieurs inconvénients.

La RRQ comporte un important déficit intergénérationnel. On ne voudrait pas alourdir davantage le fardeau des jeunes.

On sait déjà qu'ils devront cotiser trois fois plus que leurs aînés parce que le taux de cotisations n'était pas suffisant au départ. La RRQ sera en mode rattrapage au moins jusqu'en 2017, et peut-être même jusqu'en 2019. La cotisation atteindra alors 11% du salaire, séparée à parts égales entre l'employeur et l'employé.

Doubler la générosité de la RRQ mènerait le taux de cotisation à plus de 20%. Il n'en faut pas tant pour que le patronat déchire sa chemise et que le lobby des services financiers crie à la «nationalisation» de la retraite.

Pour eux, la rente longévité serait donc un moindre mal, une solution de compromis. En effet, la cotisation de la rente longévité serait de seulement 3,3% du salaire par année (1,65% employeur/employé). Beaucoup moins cher qu'une bonification du RPC/RRQ.

Comme elle ne serait versée qu'à partir de 75 ans, la rente longévité n'inciterait pas les travailleurs à quitter le marché du marché trop vite, comme le redoute Ottawa avec une bonification du RPC/RRQ.

Et puis, les travailleurs auraient encore la responsabilité d'épargner pour leurs premières années de retraite. Pour y parvenir, ils auraient la flexibilité d'investir à leur guise (CELI, REER, immobilier, etc.). De quoi calmer les investisseurs qui n'aiment pas se faire dicter leurs choix.

Enfin, la rente longévité respecterait l'équité intergénérationnelle puisqu'elle serait pleinement capitalisée. Autrement dit, l'argent accumulé par les travailleurs d'aujourd'hui servirait uniquement à payer les rentes de leur propre génération dans 20 ou 30 ans, et non pas celles des retraités actuels.

Mais le ministre des Finances du Canada, Jim Flaherty, ne veut rien entendre. Il estime qu'il n'est pas nécessaire de sortir un «bazooka» pour régler un problème ciblé.

Ciblé? Vraiment? Les Québécois accusent un grave déficit d'épargne-retraite. Seulement le tiers des travailleurs pourront compter sur une rente de leur employeur, essentiellement des employés de la fonction publique. Et les retraités ne peuvent pas non plus s'appuyer trop fort sur l'État, qui remplace à peine 39% de leurs revenus, comparativement à 59% dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Mais Ottawa craint de tuer l'économie et l'emploi en haussant les cotisations pour mieux financer la retraite des Canadiens. Cependant, si on n'agit pas maintenant, l'économie subira un dur coup dans 20 ou 30 ans quand les travailleurs seront forcés de réduire leur niveau de vie, faute d'épargne.

Il est vrai que le contexte économique actuel est peu propice à une augmentation des cotisations. Mais rien n'empêche d'y réfléchir et de viser une implantation progressive. «Si on ne fait rien maintenant, le coût sera beaucoup plus grand à l'avenir», insiste M. D'Amours.

Sa rente longévité n'est peut-être pas parfaite. Entre autres, on sait qu'elle favorisera beaucoup moins les gagne-petit en leur faisant perdre une partie de leur Supplément de revenu garanti (SRG) à la retraite.

Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un bon point de départ pour des discussions entre les provinces. Il faut y penser maintenant. Inutile d'attendre le moment idéal pour se mettre à épargner davantage. Il n'arrivera jamais.

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ALBAN D'AMOURS SUR...

... le manque d'épargne-retraite

«Les Québécois n'épargnent pas suffisamment. Plus de la moitié des travailleurs qui gagnent entre 25 000 et 90 000$ par année ne peuvent pas espérer avoir un revenu de remplacement de plus de 60% à la retraite. Ça met en danger leur sécurité financière.»

... le futur Régime volontaire d'épargne-retraite (RVER)

«Le RVER est une solution intéressante, mais elle n'est pas suffisante. Elle est intéressante parce qu'elle responsabilise les entreprises. Elle permet de stimuler l'épargne. Mais elle n'est pas suffisante parce qu'elle n'offre pas de rente garantie à la fin de vos jours. Le RVER ne permet pas de gérer le risque de longévité. Dire que le RVER va tout régler, c'est manquer de vision.»

... les régimes de retraite publics

«Il faut revoir la relation coûts/bénéfices. Et ça passe par une restructuration. Il faut se donner la possibilité de revoir les droits acquis. C'est un grand pas à franchir, mais nous l'avons recommandé. Il faut revoir les promesses. Il faut revoir le financement.»

... les négociations à venir

«Dans la poursuite des choses, il faut que les parties prenantes se disciplinent de manière à ce que l'on trouve les voies de négociation les plus efficaces possible et qu'on évite l'impasse.»