La famille québécoise a bien changé depuis la création de la Régie des rentes du Québec (RRQ) en 1966. Aujourd'hui, près de la moitié des couples ne sont pas mariés. Et la vaste majorité des femmes travaillent.

Pourtant, la rente de conjoint survivant de la RRQ reste configurée en fonction des besoins de la famille «traditionnelle» où papa travaille et maman s'occupe des enfants. Cela provoque toutes sortes d'incongruités...

Prenez Sylvie, qui a eu un bon salaire et qui a contribué à la RRQ durant presque 40 ans. Depuis qu'elle est à la retraite, la RRQ lui verse pratiquement la rente maximale, qui s'établit à 1012$ par mois, en 2012.

Après la mort de son mari, elle s'attendait à recevoir la rente de conjointe survivante, soit 60% de ce que touchait son mari. Pas du tout! La RRQ ne lui verse qu'une vingtaine de dollars de plus par mois.

Sylvie croyait être victime d'une erreur. Mais son dossier est parfaitement normal, m'a confirmé la RRQ. À partir de 65 ans, le bénéficiaire d'une rente combinée ne touche jamais la totalité des deux rentes. Sa rente est établie en fonction de la plus avantageuse des deux formules suivantes: A- 100% de sa propre rente de retraite, plus 37,5% de la rente de retraite du cotisant décédé; B- 60% de sa propre rente de retraite, plus 60% de la rente de retraite du cotisant décédé.

Mais d'une manière ou d'une autre, la rente combinée est soumise au même plafond que la rente individuelle (1012$ par mois). Ainsi, les retraités qui touchent déjà la rente maximale n'obtiendront pas un cent de plus de la RRQ après la mort de leur conjoint.

«Ça me frustre, car j'ai des amies veuves, comme moi, qui n'ont jamais travaillé et qui reçoivent les prestations de leur époux», dit Sylvie. Elle trouve que la RRQ favorise les femmes qui sont restées à la maison, au lieu de celles qui ont travaillé toute leur vie.

Mais il y a des situations encore plus frustrantes. Je me souviens d'une femme qui a perdu son conjoint de fait il y a quelques années. Après une trentaine d'années de vie commune, l'homme est parti vivre de son côté durant quelques mois pour faire le point sur sa vie. Mais une maladie l'a soudainement emporté.

La veuve a été sidérée d'apprendre qu'elle n'aurait pas droit à la rente de survivante. Pourquoi? Au moment de la mort, ils n'étaient plus considérés comme des conjoints de fait, même s'ils avaient eu des enfants et vécu ensemble durant 30 ans. C'est comme si le couple n'avait jamais existé aux yeux de la RRQ.

Vous me direz qu'il s'agit d'un exemple tiré par les cheveux et potentiellement contestable auprès de la RRQ. C'est vrai. Mais beaucoup de conjoints de fait se font jouer des tours.

Voici le classique: un couple vit durant plusieurs années en union de fait. L'homme tombe malade et sa conjointe prend soin de lui jusqu'à sa mort. Au décès, elle réalise qu'elle n'aura pas droit à la rente de survivante. Pourquoi? Son conjoint n'avait jamais officiellement divorcé de son ex-femme. C'est donc cette dernière qui touchera la rente, même si le couple est séparé depuis 20 ans.

Déconnectée de la réalité conjugale et familiale de 2013, la rente de survivant de la RRQ crée des iniquités entre les différents conjoints.

Mais il faut comprendre que la RRQ n'est ni un REER ni une assurance-vie. C'est un régime collectif d'assurance sociale qui prévoit une certaine redistribution de la richesse. Certains en bénéficient, d'autres non.

En 1966, le but avoué de la «rente de veuve» était d'aider les épouses en leur offrant une protection de base, pour éviter qu'elles se retrouvent dans la pauvreté après la mort de leur mari. Aujourd'hui, plus de 354 800 personnes touchent une rente de conjoint de 369$ par mois, en moyenne.

Au fil des ans, la rente a été remodelée pour réduire les injustices. Depuis 1985, les conjoints de fait peuvent obtenir la rente après trois ans de vie commune. Et depuis 1999, les conjoints de même sexe ont droit au même traitement. Des avancées essentielles.

Il y aurait lieu de moderniser encore la rente de survivant. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il y a un coût pour chaque amélioration qu'on apporte à la RRQ. Invariablement, cela se traduit par une hausse des cotisations. Au final, ce sont encore les plus jeunes qui vont payer. On sait déjà qu'ils devront payer trois fois plus que la génération précédente.

Et ce déséquilibre intergénérationnel est la plus grande injustice de la RRQ.