Ça me prend 85% et plus si je veux que mon père esquisse l'ombre d'un sourire. Entre 80% et 85%, il reste stoïque. Si j'ai dans les 70%, j'ai droit à un petit sermon. Si j'ai dans les 60%, à un gros. Le gros sermon n'est pas plus long que le petit. Les deux sont assez brefs. C'est juste que le gros est dit plus fort. Beaucoup plus fort.

En bas de 60%, je ne sais pas ce qui se passe. Ça ne m'est jamais arrivé. Avant aujourd'hui.

Assis dans les marches de la galerie, je n'ose pas entrer. Je regarde mon bulletin. Catéchèse: 58%. C'est la catastrophe. Je mets mon bulletin dans mon sac et je regarde le ciel. Ça ne se peut pas. Bon Dieu, fais quelque chose! Viens au secours de ta brebis égarée. Je sors le bulletin de mon sac en espérant que la note a changé. Point de miracle. C'est toujours 58%. Au moins, elle n'a pas baissé.

Pourquoi? Pourquoi? Il y a eu deux examens qui comptaient pour 50 points chacun. J'ai eu 50 sur 50 dans le premier. Alors dans deuxième, j'ai péché par excès de confiance. Je n'ai pas étudié. Et j'ai répondu des blagues. À la question «qui était Saint-Jean Baptiste?», au lieu de répondre «le cousin de Jésus», j'ai répondu «Claude Charron». À la question «nommez un miracle fait par Jésus», j'ai répondu «la victoire du Canadien contre Chicago en finale». Résultat: 8 sur 50. Ça m'apprendra à faire le comique.

Qu'est-ce que je fais avec ça? Il faut que je rapporte le bulletin signé par papa. Je pourrais faire comme mon copain Benoît et imiter la signature du paternel. Pas évident. Mon père s'appelle Bertrand, et il fait ses B drôlement. Il aurait fallu que je m'exerce depuis le trimestre passé.

Je pourrais toujours me casser une jambe. Ça créerait une diversion. On n'engueule pas un enfant qui vient de se casser une jambe. Sauf que ça fait mal. À moins que je fasse semblant d'être malade. Je simule la crise d'appendicite. Le problème, c'est que dès qu'on dit qu'on ne se sent pas bien, chez nous, ma mère nous glisse un thermomètre dans la bouche. Si on n'a pas de température, le verdict tombe: on n'est pas malade, aucun passe-droit. Circulez!

Cinquante-huit pour cent! Cinquante-huit pour cent! Que va-t-il m'arriver? J'ai une boule dans la gorge. J'angoisse. Le bulletin, c'est notre initiation au monde des grands. Rien ne nous protège. Rien ne nous sauve. Ce n'est pas un jeu. On est face à soi-même. Ça frappe. Mais il faut passer par là. Sinon, on va se retrouver plus tard avec de gros bras, de grandes jambes mais un sens des responsabilités toujours aussi petit. Un bulletin, ce n'est pas seulement une façon de nous évaluer. Un bulletin, c'est aussi une façon de nous apprendre à nous assumer. J'ai fait l'idiot avec ma catéchèse. Faut que je fasse avec. C'est dur. Comme le monde dans lequel nous nous préparons à vivre.

Je pourrais peut-être le faire signer par ma mère. Ma mère est cool, mon père est heavy. Pour l'école, c'est aussi bon. Chez nous, c'est toujours mon père. C'est sa tâche de père. De boss. Pourtant, c'est ma mère qui nous aide dans les devoirs et les leçons. C'est ma mère qui va aux réunions de parents. Mais quand vient le temps de signer, faut que ce soit l'homme.

C'est la journée idéale pour faire évoluer la femme. J'entre dans la maison et je fonce retrouver ma mère dans la cuisine: «Maman, je trouve qu'il est temps que ce soit toi qui signe mon bulletin. Lise Payette l'a dit à la radio: la signature d'une femme vaut autant que celle d'un homme.»

Ma mère hausse les épaules. Peut-être, mais c'est bien que votre père s'intéresse à votre éducation. Montre-moi donc ça, ce bulletin-là... Je le lui donne.

«En français, j'ai eu 95. En math, 90...

- Brav...»

Oh, ma mère vient de voir ma note de catéchèse. Elle ne parle plus. Sa main tremble. Elle pleure: «Stéphane, Stéphane...» C'est épouvantable. Je ne sais plus où me mettre: «Je sais, j'le ferai plus, c'est... c'est mon chemin de Damas.» Je suis fier de ma trouvaille. Chemin de Damas, ça prouve que je ne suis pas si nul que ça en religion. Malheureusement, ça n'impressionne pas ma mère. «Je ne peux pas signer ça, va voir ton père.» Et elle continue de sangloter.

Misère, non seulement je dois traverser la vallée des larmes de ma mère, mais en plus, il faut que j'aille me faire crucifier par mon père. La totale.

J'arrive dans le salon, résigné. «Veux-tu signer mon bulletin?» Mon père met ses lunettes. C'est ce que j'aurais dû faire: briser ses lunettes. Trop tard.

«Français... ouais. Math... ouais. Catéchèse... Fais attention. Il sort sa plume et signe.

- C'est tout? Tu me sermonnes pas plus que ça?

- Ton bulletin est correct. T'as des 80 partout. Y a juste en catéchèse... Mais la catéchèse, c'est pas la fin du monde. C'est comme l'art plastique. À ta place, par exemple, je ne le montrerais pas à ta mère. Elle, la catéchèse, c'est ben important. Ça va lui faire de la peine...»

Un bulletin, ça ne nous en apprend pas seulement sur nous-mêmes, ça nous en apprend aussi sur nos parents. Le heavy et le cool ne sont pas toujours ceux que l'on croit.

Le bulletin peut être aussi formateur que les cours qui y sont notés.

Madame la ministre Beauchamp, y a rien comme un bon bulletin clair et intraitable pour déniaiser un enfant.