Je suis couché dans un lit à l'hôpital Sainte-Justine, les jambes en traction.

Je me suis fait opérer les tendons. Je ne peux pas bouger. Je ne fais rien. Et ça fait mal. J'ai presque 17 ans. Je suis un aïeul dans cet hôpital pour enfants. Alors je n'ose pas trop me plaindre. Il y a plein de petits culs qui pleurent. Et les infirmières courent partout.

Quand elles viennent me voir, elles font ça vite. Elles vérifient mon plâtre, prennent ma température. Puis elles s'en vont vers le gamin de la 22 qui a une hémorragie ou la petite fille de la 26 qui a une fracture de la colonne vertébrale.

 

Rien de mieux qu'être à l'hôpital pour relativiser son mal. Dans la vraie vie, on a le plus gros bobo au monde. À l'hôpital, il n'est même pas dans le top 100.

Donc, je fais mon grand. Je fais mon plus vieux. Et j'endure. Mais ça fait mal quand même. Je regarde dehors. J'aimerais y être. Il y a des gens qui marchent sur le trottoir. Ils ne savent pas combien ils sont chanceux.

Soudain, une voix m'extirpe de mes rêveries d'allongé solitaire: «Salut, Stéphane, ça va?

- Oui...

- Tourne-toi juste un petit peu, je vais te passer une serviette humide dans le dos, ça va te faire du bien.»

Depuis quatre jours, des préposés aux bénéficiaires sont venus me laver à la débarbouillette, rapido. Mais jamais une infirmière n'est venue me rafraîchir juste comme ça, juste pour me faire du bien.

«Aimerais-tu que je te lave les cheveux? Me semble que tu filerais mieux.

- Ça va être compliqué...

- Inquiète-toi pas pour ça, j'ai mes trucs.»

Elle remplit une grande bassine d'eau, qu'elle place juste à côté de mes oreillers. Puis, délicatement, elle place mes cheveux dedans, verse le shampoing et fait mousser. Elle glisse ma tête sur l'oreiller. Va changer l'eau de la bassine. Et revient me rincer les cheveux. Puis comme mon père faisait quand j'avais 5 ans, elle me sèche les cheveux en les frottant avec une serviette.

«Bon, c'est fait. T'es tout beau. T'es tout propre. Est-ce que ça t'a fait du bien?

- Oui, merci!»

Si elle savait à quel point! Je me sens énergique, pétant le feu, comme dans une annonce de Clairol. Les cheveux au vent dans un ralenti bondissant. Je ne me suis pas senti comme ça depuis l'opération. Bien sûr, je suis toujours en traction. Bien sûr, je suis toujours couché. Mais dans ma tête, ça sent presque aussi bon que dessus.

L'infirmière place le bouton d'alarme au bord de mon drap:

«Si jamais, t'as besoin de quoi que ce soit... Je m'appelle Carole, et je fais le quart de soir.»

Puis elle part s'occuper de tous les autres. En 15 minutes, elle a rendu mon séjour à l'hôpital... humain.

Durant les 15 jours que j'ai passés la patte en l'air, l'infirmière Carole ne m'a pas dorloté chaque fois qu'elle faisait son tour dans ma chambre. Parfois, elle était pressée comme les autres. Mais même si elle faisait seulement prendre ma température, elle le faisait avec douceur. Avec un sourire. Et de la bonté dans les yeux. Qui me faisait aller mieux.

Les autres infirmières étaient toutes professionnelles, compétentes et dévouées. Carole était gentille. C'est tout ce qu'elle avait de plus. Mais c'est beaucoup.

Tellement que 30 ans plus tard, tout ce dont je me souviens de ma première opération aux tendons à Sainte-Justine, ce sont les bons soins de Carole. On doit être un paquet de vieux enfants à s'en souvenir.

On ne parle pas assez souvent des gens gentils. On parle énormément des méchants. Beaucoup de ceux qui sont performants. Qui gagnent des parties, des sous ou des élections. Pourtant, les gens les plus rares, les plus marquants et les plus précieux sont, tout simplement, ceux qui sont fins. Vraiment fins. Jusqu'au plus profond d'eux-mêmes.

En cette période des Fêtes, je voudrais dire merci à tous les gens gentils que j'ai eu la chance de croiser dans ma vie. Tous ces étrangers qui n'étaient ni amis ni famille. Tous ces gens qui n'avaient pas besoin d'être gentils mais qui l'étaient, parce que c'est ainsi qu'ils sont faits. C'est grâce à vous, bien plus que grâce à tous les leaders qui se sont réunis à Copenhague, si ce monde est encore vivable.