Si l'objectif était de mettre fin au débat sur les signes religieux dans un esprit rassembleur, c'est malheureusement raté. Le projet de loi sur la laïcité déposé hier à Québec crée plus de problèmes qu'il n'en règle.

Mais commençons par les fleurs. Après avoir dit qu'il n'était pas question de toucher au crucifix à l'Assemblée nationale, le gouvernement Legault a eu la sagesse de se raviser. C'est à l'unanimité qu'une motion a été adoptée hier à l'Assemblée nationale pour que le crucifix soit retiré du Salon bleu une fois le projet de loi sur la laïcité adopté. Après plus d'une décennie de débats à ce sujet, en cinq minutes, c'était réglé. Le crucifix sera décroché pour être mis en valeur dans l'enceinte du Parlement. Amen. C'était donc aussi simple que ça.

Certains y ont vu un geste de compromis opportuniste pour mieux faire passer les atteintes aux droits individuels de minorités religieuses du projet de loi sur la laïcité.

S'il va de soi qu'il y a là des considérations stratégiques pour éviter des accusations de « catho-laïcité », j'y vois avant tout de la cohérence.

Le gouvernement ne peut plaider sérieusement que la nation québécoise a un attachement particulier à la laïcité de l'État... sous un crucifix placé par Maurice Duplessis à l'Assemblée nationale précisément pour rappeler l'alliance entre l'Église et l'État.

Cela dit, il ne suffit pas de décrocher un crucifix pour bien accrocher un projet de loi sur la laïcité de l'État qui soit cohérent. Le défi du gouvernement caquiste était de taille. Après des années de laisser-faire des libéraux et la tentative de trop en faire des péquistes, il fallait trouver un juste équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. Il fallait surtout aussi agir de façon responsable pour retrouver une certaine paix sociale au terme d'années de débats qui ont laissé beaucoup de cicatrices.

Même si le Québec est déjà laïque dans les faits, je ne suis pas de ceux qui croient que légiférer en ce sens est inutile. Bien sûr qu'il y a plus urgent que d'interdire le port de signes religieux à des juges et des policiers qui de toute façon n'en portent pas. La laïcité de l'État n'est pas menacée. Il n'y a pas péril en la demeure. Et toute cette énergie déployée à discuter de voile, de crucifix et de kirpan depuis une douzaine d'années aurait certainement été mieux dépensée si on l'avait consacrée aux enjeux environnementaux, autrement urgents.

Tout ça est vrai. Cela dit, même si le « problème » de la laïcité au Québec est en grande partie une construction politique et médiatique, on ne peut nier qu'il est désormais bien réel. Il affecte notre climat social. Là aussi, il y a eu un certain réchauffement, si je puis dire. Ou peut-être faudrait-il plutôt parler d'échauffement. Les causes humaines sont connues. Elles sont complexes. Et on doit aussi s'en occuper.

Que l'on parle du climat social ou du climat tout court, se comporter en climatosceptique comporte toujours des risques.

Bien qu'imparfait, le compromis Bouchard-Taylor de 2008, qui consistait à interdire le port de signes ostentatoires pour les agents de l'État ayant un pouvoir de coercition, m'apparaît encore comme le moins imparfait des compromis pour minimiser ces risques et parvenir à une certaine paix sociale. Pourquoi ? Parce que pour ces gens en uniforme qui incarnent l'État et ont le pouvoir d'arrêter un citoyen ou de l'envoyer en prison, l'apparence de neutralité est aussi importante que la neutralité elle-même.

S'il est vrai, comme le souligne Charles Taylor qui s'est finalement dissocié de cette recommandation, que ce genre d'interdiction risque de stigmatiser les minorités concernées - les femmes portant le voile en premier lieu -, le statu quo ne me semble pas une meilleure avenue. À mon sens, au point où on en est après 12 ans de débats houleux, ne rien faire du tout risque de créer encore plus de stigmatisation et de divisions eux/nous.

Alors quoi ? Il fallait donc trouver un équilibre. Ne rien faire n'est pas la solution. Trop en faire, non plus. Malheureusement, c'est dans cette voie du « trop », truffée d'incohérences et de zones grises, que le gouvernement Legault s'est engagé en étendant l'interdiction des signes religieux non plus seulement aux agents de l'État qui ont un pouvoir de coercition, mais plus largement aux personnes en autorité, comme les enseignants et les directeurs d'école.

La mesure pénalisera ainsi des femmes musulmanes voilées ou des hommes juifs portant la kippa qui voudraient être enseignants ou directeurs.

Comme si on les jugeait d'emblée en fonction de ce qu'ils portent sur leur tête plutôt que sur ce qu'ils ont dans la tête et transmettent à leurs élèves. Comme si on sous-entendait que le simple fait de porter un signe religieux est en soi du prosélytisme. Mais est-ce le cas ? Non. La Fédération autonome de l'enseignement soulignait encore cette semaine qu'elle n'avait jamais eu aucune plainte à cet égard. Aucune. C'est donc un problème qui n'existe pas. Alors qu'est-ce qu'on règle au juste avec ce projet de loi ?

Si on se soucie vraiment de l'enseignement laïque, au lieu de miser sur des mesures tape-à-l'oeil visant les signes religieux, il aurait été beaucoup plus fondamental de se pencher sur le financement par l'État des écoles ethno-confessionnelles. S'interroger sur ce qu'on met dans la tête des enfants plutôt que sur la tête des enseignants. Car comment justifier, dans une perspective de laïcité et de vivre-ensemble, que l'État finance des écoles qui font la promotion d'une religion en particulier et sont des exemples de « vivre-séparé » ?

Le gouvernement Legault parlait hier de jour « historique » pour la laïcité. Les opposants parlaient de jour « sombre » pour la liberté. Des deux côtés, il faudra modérer ses emportements. Jusqu'à ce qu'un équilibre s'ensuive.