« Je sais que tout ce qui t'intéresse, c'est la moyenne du groupe », a dit fiston en me montrant son bulletin.

Ça sonnait comme un reproche. C'est tout juste s'il ne m'a pas cité un extrait du récent rapport du Conseil supérieur de l'éducation (CSE), qui milite pour l'abolition des moyennes de groupe.

Même si je répète à mes enfants que ce qui importe est de faire de son mieux, il semble que mon regard me trahit parfois, comme s'il disait à mon insu : ce « mieux » a intérêt à être meilleur que celui des autres. Mon jupon de fille d'immigrants dépasse. Chez nous, les notes au bulletin et l'écart à la moyenne du groupe avaient quelque chose de sacré. C'en était presque maladif. Ma mère, elle-même enseignante, après une très brève période où elle a testé l'école alternative sans notes et sans examens avec mon grand frère, a fait un revirement spectaculaire au moment de mon entrée à l'école. Elle est devenue une « tiger mom » avant l'heure, ne jurant plus que par la performance scolaire. Le genre à s'inquiéter si nos notes glissaient sous la honteuse barre des 90 %, seuil sous lequel nous allions bien sûr rater notre vie. Le genre à s'inquiéter tout autant si nos notes semblaient trop bonnes - elle a insisté pour que je saute ma quatrième année, craignant que je me complaise à tout jamais dans la facilité. Bref, il n'y en avait pas de facile.

C'était une autre époque et, contrairement à ce qu'on pense, cela n'avait pas que du bon. C'était une époque où on classait les élèves sans trop se soucier de l'impact que ce classement avait sur eux. Certains se voyaient coller l'étiquette de « mésadapté socioaffectif ». Il y avait des groupes de « douance » et des groupes « allégés ». C'était le programme qui était allégé, et non les élèves. Mais quand même... Pour les élèves ainsi classés, ce n'était sans doute pas la meilleure façon de les inciter à se dépasser.

Je repensais à tout ça dans la foulée de la publication récente d'un rapport du Conseil supérieur de l'éducation portant sur l'évaluation à l'école. On a vu resurgir, en levant les yeux au ciel, le bon vieux débat sur les bulletins scolaires, en version accélérée. 

Chiffres ou lettres ? Avec ou sans moyennes ? Les parents veulent des chiffres et des moyennes ? Quoi qu'en disent les experts, il en sera donc ainsi, a tranché le gouvernement. Merci, bonsoir. En cinq minutes, ça semblait réglé.

Affaire classée ? Pas vraiment. Si on se donne la peine de lire le rapport du Conseil supérieur de l'éducation, on réalise que l'essentiel de sa réflexion ne porte pas tant sur les chiffres et les lettres du bulletin que sur notre conception même du rôle de l'école. Ce qu'on y propose, ce n'est pas tant une invasion de bonshommes sourire qu'un regard critique sur le culte de la performance et de la concurrence à l'école - un culte qui va à l'encontre des grands principes et des objectifs de notre système d'éducation.

Si l'on considère vraiment que la mission de l'école est d'amener chaque élève à développer le plus possible ses capacités et non plus seulement à sélectionner les plus forts, il faut que l'évaluation soit conforme à cet objectif. Nivellement par le bas ? Non. Au contraire, nous dit le CSE. On nivelle par le bas lorsqu'on abandonne tous ceux qui ont un rythme ou des talents différents. Ici, il s'agit plutôt de « tirer tout le monde vers le haut, tout en donnant à chacun une image juste de ses forces et de ses défis ».

Évidemment, si tel est l'objectif, dans l'état actuel des choses, on dira avec raison qu'il y a plus urgent que de proposer une réforme du bulletin. Offrir du soutien professionnel aux élèves en difficulté et à leurs enseignants, par exemple. Ou remettre le cap sur une plus grande mixité scolaire et sociale, comme le disait lui-même le CSE en 2016.

Tout ça est vrai. Mais cela ne rend pas futile pour autant la réflexion du CSE en matière d'évaluation. Ce que nous dit le rapport, c'est tout simplement qu'il faut être cohérent et recentrer l'évaluation sur ses objectifs les plus importants. 

Ces objectifs ne consistent pas à classer et à sélectionner ceux qui ont les meilleures notes, comme on nous l'a toujours fait croire. Ils ne consistent pas seulement non plus à témoigner des acquis. Ils consistent aussi à soutenir le mieux possible l'apprentissage.

Comment ? En évitant la tentation de s'en tenir à ce qui est facile à mesurer au détriment de ce qui est important. En misant sur une forme d'évaluation qui, au-delà des notes et de la compétition entre élèves, permet de prendre des risques, d'apprendre de ses erreurs et de mieux connaître ses forces et ses faiblesses. « À tous les ordres et secteurs d'enseignement, le personnel enseignant ne devrait donc plus continuer à évaluer comme il a lui-même été évalué... », dit le CSE.

Est-ce à dire qu'il faut réduire les exigences, distribuer des A+ à tout le monde et abolir tout processus de sélection ? Bien sûr que non. Dans la vie comme à l'école, il est illusoire de vouloir éliminer toute forme de compétition. La sélection restera évidemment une nécessité administrative pour l'admission dans des programmes d'études contingentés. Mais on oublie que c'est une nécessité ponctuelle et non une fin en soi. Cela ne devrait pas nous faire perdre de vue l'essentiel de la mission de l'école : amener chacun vers son plein potentiel.