Le projet s'appelle Humain Avant Tout. Lumineux projet qui vise à parler de santé mentale. Pour faire tomber les tabous et donner de l'espoir.

La femme à l'origine du projet s'appelle Lysa-Marie Hontoy, étudiante au doctorat en psychologie à l'Université de Montréal.

Le point de départ, c'était quoi, Lysa-Marie ?

Le point de départ, c'était peut-être la solitude. D'abord, la sienne. Celle qu'elle avait déjà connue. « J'ai été confrontée à des problèmes d'anxiété dans mon adolescence et au début de l'âge adulte. Je vivais un sentiment de solitude important. »

Puis, celle des autres, qui lui faisait écho. Dans le cadre de ses premiers stages en psychologie, Lysa-Marie a constaté que beaucoup de gens aux prises avec un trouble de santé mentale pensent qu'ils sont seuls au monde ou « anormaux ». Ils ont honte. Alors que tous racontent sensiblement la même chose... Si seulement tous ces gens pouvaient se parler, se disait-elle.

Au-delà de ce désir de briser les solitudes, Lysa-Marie croit que le véritable point de départ de son projet, c'était peut-être surtout le choc qu'elle a vécu quand un membre de sa famille s'est donné la mort en 2015. « Cette personne avait de l'aide [elle était suivie par une psychologue], mais elle se sentait extrêmement honteuse d'avoir une maladie mentale... Elle refusait de l'accepter, en fait. Ce suicide a créé une onde de choc dans ma famille et m'a profondément bouleversée. »

C'est de ce bouleversement que l'idée de mettre sur pied un projet social pour lutter contre la stigmatisation de la maladie mentale a émergé. Lysa-Marie en a parlé avec son amie et collègue Elisabeth Fortin-Langelier, qui l'a aidée à lancer le projet l'été dernier.

Le projet Humain Avant Tout repose sur une idée toute simple : recueillir et publier chaque semaine des témoignages à visage découvert de gens qui vivent ou ont déjà vécu des troubles psychologiques (avec ou sans diagnostic) ou des épreuves difficiles. Un accident. Un cancer. Une peine d'amour. Un deuil...

Lysa-Marie prend rendez-vous avec chaque personne prête à lui livrer un témoignage. Elle l'écoute pendant une heure. Elle prend une photo à la fin de la rencontre. Et elle publie ensuite le tout sur les pages Facebook et Instagram d'Humain Avant Tout.

Personne n'est à l'abri de la maladie mentale. Près d'un Québécois sur cinq en souffrira au cours de sa vie. Il s'agit de la principale cause d'absentéisme au travail.

Et pourtant, même si les enjeux liés à la santé mentale font régulièrement les manchettes, même si l'on ne cesse de répéter qu'il s'agit du « parent pauvre » du système, même si le gouvernement promet d'agir, Lysa-Marie, constate que cela ne suffit pas. On ne parle pas assez de santé mentale.

« Il y a de belles initiatives comme la journée Bell cause pour la cause [qui aura lieu le 30 janvier]. C'est tout à fait louable. Mais ce n'est qu'une fois par année, et après, ça tombe un peu dans l'oubli. »

Le projet Humain Avant Tout n'est pas lié à la thèse de doctorat de Lysa-Marie, qui porte sur la santé mentale des étudiants. Il ne s'agit pas non plus pour la doctorante en psychologie d'établir une relation d'aide thérapeutique. « La thérapie, c'est très important, je serais mal placée pour dire le contraire ! Mais l'objectif principal du projet d'Humain Avant Tout est plutôt d'ouvrir le dialogue sur la santé mentale. »

Dans une société où tout le monde s'efforce d'afficher une vie parfaite dans les réseaux sociaux et où l'on est sommé d'être heureux, les gens prêts à se montrer tels qu'ils sont réellement, avec toutes leurs vulnérabilités, ne courent pas les rues. Les préjugés entourant la maladie mentale font en sorte que près des deux tiers des personnes qui en souffrent ne vont pas chercher l'aide dont elles ont tant besoin (selon les données de l'Institut universitaire en santé mentale). Alors imaginez en parler publiquement...

Au début, Lysa-Marie se demandait si assez de gens répondraient à l'appel d'Humain Avant Tout. Les premiers témoignages recueillis étaient ceux d'amis ou de son entourage. Et puis, très vite, des gens qu'elle ne connaissait pas se sont mis à lui écrire pour raconter leurs histoires. « C'était surprenant, beau et touchant de voir cette réponse. Des gens qui avaient envie de briser les tabous et de raconter ce par quoi ils étaient passés. »

Parmi les gens qui ont témoigné, il y a la comédienne et poète trans Gabrielle Boulianne-Tremblay, qui parle de sa sortie du placard et d'une agression qui l'a traumatisée alors qu'elle était en transition. Il y a Simon qui parle de la nuit où il s'est réveillé en panique sans savoir pourquoi. Il y a Alexanne qui raconte sa fin du monde quand elle a appris que son père avait le cancer. Il y a Audrée qui parle de dépression et d'anxiété. Il y a Émilie qui raconte son traumatisme après s'être fait attaquer par six hommes pendant un voyage et comment, depuis cette nuit, dans sa tête, elle se fait attaquer tous les jours. Il y a Marine qui parle de son premier amour, son « premier tout », mort dans un accident de moto à 30 ans...

Cela peut sembler assommant énuméré de la sorte. Mais loin d'être un catalogue de malheurs, la succession de témoignages recueillis auprès de gens qui, le plus souvent, ont un certain recul par rapport à ce qu'ils ont vécu met en lumière l'incroyable résilience de l'être humain. Les gens parlent de ce qui les a aidés à surmonter leurs épreuves. Beaucoup de gens disent : « J'aurais dû aller chercher de l'aide avant. » Lorsque c'est pertinent, Lysa-Marie ajoute des liens vers les ressources qui leur ont permis de s'en sortir.

Après avoir rencontré une soixantaine de personnes, Lysa-Marie, dont la page Facebook est suivie par plus de 2500 personnes, est désormais victime de son succès. Elle a une liste d'attente de gens prêts à témoigner. Elle aura aussi bientôt un site internet. Ultimement, elle rêve que son projet soit transposé à la télé afin de rejoindre encore plus de gens.

Ce qui est particulièrement encourageant, c'est la réaction de l'entourage lorsque le témoignage est partagé dans les réseaux sociaux. « Très, très souvent, les amis de la famille n'étaient même pas au courant que la personne avait un trouble de santé mentale ou avait traversé une épreuve de vie difficile. Ça crée un mouvement d'empathie, de compassion. »

Les gens disent : « On va être là pour toi... Avoir su, on aurait été là plus tôt... Si jamais je peux t'aider, n'hésite pas à me faire signe. »

En plus de créer un élan d'empathie, les témoignages deviennent particulièrement précieux pour ceux qui vivent des moments difficiles. Des gens écrivent : « Merci de ton témoignage. Moi, ça ne va vraiment pas. Et là, je vois que tu as un trouble similaire au mien et que tu t'en es sorti... Ça me donne de l'espoir. »