L'année a commencé de façon horrible pour de nombreuses femmes qui ont réveillonné au centre-ville de Cologne. La nuit du 31 décembre a été marquée par une vague de violence et d'agressions sexuelles.

Hier, les autorités allemandes ont confirmé les informations selon lesquelles la quasi-totalité des suspects était d'origine étrangère. Parmi eux, des demandeurs d'asile, ce qui donne de nouvelles munitions à ceux qui voudraient fermer les frontières aux réfugiés.

La vague d'agressions suscite son lot d'indignation. Elle suscite aussi bien des questions. Que s'est-il passé exactement à Cologne la nuit du Nouvel An ? Était-ce planifié ? Et si oui, par qui ? Pourquoi la police n'est-elle pas intervenue ? Pourquoi a-t-elle mis autant de temps à réagir ? Pourquoi a-t-elle dit le 1er janvier qu'il n'y avait aucun « incident majeur » à déclarer ? Pourquoi les médias ont-ils tardé à en parler ?

Le scandale a grossi dans les jours qui ont suivi. Beaucoup de fausses informations ont circulé. Le silence de la police et de certains médias a semblé suspect. Des rumeurs ont été prises pour des vérités. Des vérités ont été prises pour des rumeurs. Et 12 jours plus tard, de nombreuses zones d'ombre restent encore à être éclaircies.

On parle désormais de quelque 200 plaintes pour agressions sexuelles à Cologne, dont deux cas de viol. Très vite, la machine à distribuer des blâmes s'est mise en marche. C'est la faute à Angela Merkel, trop généreuse avec les migrants ! C'est la faute à l'islam ! C'est la faute aux Arabes ! C'est la faute à l'ouverture et à la tolérance ! C'est la faute au multiculturalisme ! C'est la faute à la droite qui récupère l'affaire ! C'est la faute à la gauche qui fait du déni ! C'est la faute aux féministes qui se taisent !

Le scandale a bien évidemment été accueilli à bras ouverts par les populistes d'extrême droite, trop contents de mettre une fois de plus tous les réfugiés musulmans dans le même bateau qui les ramènerait au plus vite dans leur pays. Des manifestants anti-immigration sont descendus dans la rue. Des étrangers, dont six Pakistanais et un Syrien, ont été violemment pris à partie par des inconnus. Tout ça au nom du féminisme, sans doute...

Certains voient dans cette affaire une raison de fermer la porte aux réfugiés. J'y vois plutôt une occasion de rappeler l'urgence de prendre les agressions sexuelles au sérieux, quelle que soit l'origine des agresseurs.

Ce n'est pas en fermant la porte aux réfugiés (et dans bien des cas à des femmes et des filles qui ont subi des violences sexuelles) que l'on fera avancer la cause de l'égalité hommes-femmes. Le racisme et la xénophobie ne sont pas exactement des remèdes contre le viol. S'il va de soi qu'il faut condamner haut et fort les agressions survenues à Cologne, il faut rappeler que la culture du viol dans nos sociétés, qui se double d'une culture du silence, n'a pas été inventée par des réfugiés.

La majorité des viols sont commis par un agresseur qui connaît sa victime et non par un étranger. Le plus souvent, l'agresseur est un père, un oncle, un conjoint, un entraîneur, une personne en autorité... C'est pratique de penser que le misogyne, c'est toujours l'autre. La réalité est plus complexe.

Il y a urgence. Je ne parle pas de l'urgence de faire payer à l'ensemble des réfugiés les actes inacceptables d'une infime minorité parmi eux. Je parle de l'urgence de mettre fin à l'impunité et de s'attaquer à la culture du viol qui fait en sorte qu'au Canada, par exemple, même après des décennies de féminisme, une femme sur trois est victime d'agression sexuelle.

Je parle de l'urgence de faire de l'éducation populaire en matière d'égalité hommes-femmes auprès de tous les citoyens, quel que soit leur statut. L'urgence de changer les mentalités. L'urgence de s'indigner non seulement lorsque les suspects sont musulmans, mais devant tous les cas de misogynie dite « ordinaire ». Même ceux qui font rarement les manchettes et ne donnent pas lieu à des manifestations.

« Après Cologne, nous ne pouvons laisser les intolérants s'emparer du féminisme », écrivait dimanche la féministe anglaise Laurie Penny, dans un article très éclairant sur le sujet.

Nous ne pouvons pas, non.