Soit vous êtes pro-intégrisme, soit vous êtes pro-Charte... Voilà en quelque sorte la nouvelle adaptation péquiste du célèbre précepte démagogique de George Bush - «soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous». Et au diable les nuances!

«Tu ne peux pas prétendre lutter contre l'intégrisme et être contre la Charte», a ainsi déclaré le ministre Bernard Drainville, en entrevue avec mon collègue Paul Journet. Si j'ai bien compris, il n'y aurait donc que deux postures possibles dans ce débat sur la laïcité. Soit on est avec les intégristes, soit on est avec Bernard Drainville. Et si on n'est dans aucun camp, qu'est-ce qu'on fait? L'ancien député Yves Michaud a trouvé la solution pour nous: l'exil. On l'en remercie.

La flèche du ministre Drainville visait bien sûr avant tout ses opposants libéraux, qui disent vouloir faire de la lutte contre l'intégrisme une priorité, mais qui n'ont rien proposé d'intéressant à ce sujet, après s'être bêtement pris les pieds dans leur tchador. Le Parti libéral n'a certes aucune médaille à recevoir pour sa piètre gestion du dossier de la laïcité. C'est lui qui a laissé pourrir ce débat, refusant de donner suite aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor. Sauf qu'en prétendant qu'on ne peut à la fois être contre l'intégrisme et contre la Charte, le ministre Drainville ne fait pas que s'attaquer à ses adversaires libéraux. Il insulte tous les citoyens, nombreux, qui sont à la fois contre la Charte et contre l'intégrisme. Eh, oui! L'un n'exclut pas l'autre... D'autant plus que le projet du PQ risque fort bien, selon plusieurs experts, de nourrir l'exclusion et l'intégrisme. Mais pourquoi se fier à des experts quand on peut compter sur la rumeur de la rue?

Dans une logique qui est difficile à suivre, M. Drainville affirme que la lutte contre l'intégrisme n'est pas un des objectifs de la Charte, mais un de ses effets. Elle donnerait une réponse claire aux intégristes qui «carburent aux accommodements raisonnables» et qui veulent «créer des exceptions pour les transformer en normes». Vraiment? Oui, oui, elle leur dirait clairement que l'État est neutre et que l'égalité hommes-femmes est non négociable. Dès qu'il verrait poindre la Charte, l'intégriste prendrait peur et l'égalité hommes-femmes pourrait enfin être rétablie. Les femmes enlèveraient leurs voiles. En aseptisant les tenues, on aseptiserait aussi, comme par magie, les esprits rétrogrades.

La Charte serait ainsi «un moyen indispensable pour lutter contre les intégristes», s'il faut en croire le ministre Drainville. Indispensable, même si elle n'a pas été conçue pour ça... Assez forte pour «eux», donc, mais conçue pour «nous».

Dire que les anti-Charte sont tous pro-intégristes est aussi utile au débat public que de prétendre que les pro-Charte sont tous des xénophobes. Il se trouve bien sûr des intégristes qui sont contre la Charte et des xénophobes qui sont pour la Charte. Mais réduire ce débat complexe à une opposition simpliste entre les bons pro-Charte et les méchants intégristes ou les bons anti-Charte et les méchants racistes ne nous mènera nulle part. Si l'on tient à faire avancer ce débat complexe dans le respect, les nuances et la rigueur sont de mise.

Les raccourcis de M. Drainville n'augurent malheureusement rien de bon pour la commission parlementaire sur la laïcité, qui commence ce matin. Le ministre a beau se dire ouvert, prêt à écouter les citoyens, il semble surtout prêt à écouter ceux qui pensent comme lui. Sur toutes les tribunes, il martèle qu'il n'est pas question de «diluer la Charte» ou de la vider de son contenu. À quoi bon alors se farcir plus de 200 heures de commission parlementaire si le ministre ne veut rien changer à son projet?

M. Drainville a beau dire que la commission va donner une «profondeur supplémentaire» au débat, il étouffe d'emblée tout débat en apposant un sceau d'infamie sur ceux qui sont contre la Charte. S'il est entendu que tous les anti-Charte sont pro-intégrisme, à quoi bon débattre?

Au printemps dernier, M. Drainville disait au Devoir à propos du débat sur la Charte: «Ça va demander beaucoup de pédagogie, ce débat-là, beaucoup de doigté.» Au fil du temps, il apparaît de plus en plus clairement que le ministre confond pédagogie et démagogie.