Blattes, moisissures, toits percés, plafonds défoncés... Rien ne semble déranger Claudio Di Giambattista, propriétaire délinquant devenu célèbre malgré lui. Dans la République des taudis montréalais, cet homme qui collectionne les avis d'infraction a une certaine renommée.

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Il y a 10 ans, j'avais fait un reportage sur un des taudis de M. Di Giambattista dans Côte-des-Neiges. Je me rappelle les nids de pigeons dans les armoires de cuisine, la tapisserie de moisi sur les murs, le toit qui fuyait, les plafonds défoncés, les vitres remplacées par de simples toiles de plastique... On aurait dit le tiers-monde à Montréal. Vingt-trois mille dollars d'amendes plus tard, le propriétaire continuait de faire la sourde oreille. «On n'a jamais vu ça!», me disait-on à la Ville.

Dix ans plus tard, même propriétaire, même tiers-monde. Un air de déjà-vu. Pourtant, en 2003, la Ville de Montréal, forte d'un nouveau code du logement plus musclé, avait sorti l'artillerie lourde pour mettre au pas le roi des propriétaires délinquants. Ce code donne à la Ville le droit de faire les travaux elle-même et d'envoyer la facture au propriétaire. C'est ce qui a été fait en grande première pour un taudis de la rue Durocher, dans Parc-Extension, appartenant à M. Di Giambattista. La Ville semblait alors avoir compris qu'il ne servait à rien dans ce cas d'envoyer des avis d'infraction en espérant que le propriétaire fasse les réparations. Exécuter les travaux elle-même et remettre la facture au responsable était de toute évidence le seul moyen de s'assurer que les réparations soient réalisées et que les locataires puissent conserver leur logement.

Depuis ce coup d'éclat de la Ville de Montréal, on aurait pu croire que l'ère de l'impunité était terminée dans la République des taudis montréalais. Mais non. Dix ans plus tard, en dépit des belles promesses et des engagements du Sommet de Montréal, il semble que l'on soit ici de retour à la case départ. Claudio Di Giambattista est toujours une star du taudis moisi dans Parc-Extension. Dans son immeuble de la rue Ball, qu'il a fallu faire inspecter sous surveillance policière hier, des locataires vivent des conditions pitoyables, certains sans eau chaude depuis plus de six mois. «Effectivement, on a relevé plusieurs problèmes dans l'immeuble, c'est clair. Honnêtement, je pense qu'on pouvait s'y attendre. Le monsieur a une triste renommée. En plus, il ne collabore pas beaucoup», me dit la directrice de l'habitation à la Ville de Montréal, Danielle Cécile.

En novembre dernier, un autre immeuble du même propriétaire, rue Stuart, a été déclaré impropre à l'habitation par la Direction de la santé publique. Il y avait de la moisissure jusque sur les meubles des occupants. Et on sait que la moisissure peut entraîner de graves problèmes de santé, notamment des problèmes d'asthme chez les enfants. L'immeuble a été évacué d'urgence le 10 novembre.

Pourtant, en 2001, le parti du maire Gérald Tremblay s'était engagé à travailler en amont pour éviter d'en arriver là. Il disait noir sur blanc dans son programme d'orientation politique: «Pour régler le problème des logements insalubres, nous utiliserons toute la panoplie des mesures judiciaires à la disposition de la Ville. En aucun temps, nous n'allons procéder à des évictions brutales de locataires à cause de l'insalubrité.»

Dix ans plus tard, comment se fait-il que l'on en soit encore là? Comment se fait-il que les autorités municipales aient laissé moisir la situation pendant toutes ces années plutôt que d'appliquer rigoureusement le code du logement? Réponse de Mary Deros, conseillère de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension et membre du comité exécutif: «On ne peut pas légalement faire plus.»

Il y a une différence entre ne pas pouvoir et ne pas vouloir. Mme Deros me parle de l'importance d'agir dans des «délais raisonnables», comme s'il était raisonnable de laisser moisir un immeuble jusqu'à ce qu'il soit déclaré impropre à l'habitation. Devant un propriétaire aussi délinquant, on s'attendait à quoi au juste? Comment expliquer autant de laxisme? Et si on accuse un tel laisser-aller avec lui, quel message envoie-t-on aux autres?

Le problème n'est malheureusement pas qu'anecdotique. Préoccupé par l'augmentation du nombre de plaintes d'insalubrité, l'ombudsman de Montréal a invité mardi les autorités municipales à faire un suivi plus rigoureux des plaintes qui lui sont adressées. Les six enquêtes sur l'insalubrité menées par l'ombudsman en 2011 portaient sur des cas extrêmement préoccupants où des locataires ont dû être hospitalisés pour de graves problèmes pulmonaires causés par des champignons. On dénonce le fait que des dossiers soient souvent fermés alors que le problème n'a été réglé qu'en surface. On repeint, on lave, on maquille. Mais le problème reste entier.

Malheureusement, tant que les autorités municipales se contenteront de camoufler les problèmes au lieu de les régler, la République des taudis montréalais continuera de s'épanouir en toute impunité.