Juillet dernier, sur le campus de l'Université Ohio State. Danny Maciocia discute avec le coordonnateur à l'attaque des Buckeyes, la célèbre équipe de l'établissement, lorsqu'un homme s'approche de lui : « Voulez-vous me suivre, s'il vous plaît ? »

L'entraîneur des Carabins, qui achève une journée d'observation dans ce haut lieu du sport collégial américain, se demande où on l'amène. Il a déjà parlé avec plusieurs responsables du programme de football : nutritionniste, préparateur physique, entraîneurs de position... Et il n'est sûrement pas expulsé des lieux, car il s'est bien assuré de ne pas porter de bleu ! Au pays des Buckeyes, où le football est si populaire qu'un match intraéquipe a attiré plus de 100 000 spectateurs au printemps, cette couleur est interdite, car elle est associée aux détestés rivaux de l'Université du Michigan. 

Maciocia espérait rencontrer Urban Meyer, mais l'entretien prévu a été annulé. « Son horaire est trop chargé », lui a-t-on expliqué. Dommage, puisque l'entraîneur des Buckeyes, payé 6 millions par saison, est une légende dans le coaching universitaire. Il a conduit les siens au championnat national en 2014, comme il l'avait fait deux fois à la tête des Gators de la Floride.

Une conversation avec Meyer aurait été utile pour Maciocia qui, à la fin de chaque saison, se fixe des objectifs pour se « réinventer », comme il le dit lui-même. Et rien ne vaut un échange stimulant avec des gens qui, dotés d'une solide feuille de route, ont appris de leurs erreurs pour mieux avancer.

Quelques secondes plus tard, l'accompagnateur de Maciocia s'efface devant la porte d'un bureau. C'est celui de Meyer, qui a finalement trouvé 15 minutes pour le recevoir. Leur conversation durera une heure.

« Cet homme-là est plus qu'un coach, explique Maciocia. Il est un véritable chef de la direction. La manière dont il gère les joueurs, les coachs et l'administration, c'est unique. J'avais envoyé un résumé de ma carrière en prévision de ma visite. Meyer l'avait consulté et m'a questionné sur mon parcours. Il m'a demandé ce que j'avais appris de mon congédiement des Eskimos d'Edmonton en 2010. On a abordé plusieurs sujets. Ce fut une expérience incroyable et j'en ai ramené des choses que j'applique aujourd'hui avec les Carabins. »

À Ohio State ce jour-là, Maciocia a posé une brique supplémentaire sur cet édifice que, par définition, il n'achèvera jamais : devenir meilleur, avoir un impact positif dans la vie. Ou, comme il l'explique à ses étudiants athlètes, « gagner chaque journée ». Sinon, leur rappelle-t-il, elle sera perdue à jamais.

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Samedi après-midi, Maciocia et les Carabins disputent leur match le plus important de la saison contre le Rouge et Or de l'Université Laval dans l'intimité du chaleureux stade du CEPSUM. L'équipe gagnante atteindra la demi-finale du football universitaire canadien.

Tous sports confondus, la lutte entre les Carabins et le Rouge et Or est la plus chaude au Québec depuis celle entre le Canadien et les Nordiques. Voilà deux excellents programmes de football, dirigés par des passionnés croyant en leur mission.

« Notre rivalité est saine et respectueuse, dit Maciocia. Nous avons remporté cinq des sept derniers matchs, mais ce furent des classiques chaque fois. On ne peut rien tenir pour acquis. L'équipe qui composera le mieux avec les détails remportera sans doute la victoire. J'adore ce genre de match. Les deux équipes vont essayer de s'imposer physiquement, de gagner la bataille de la ligne de mêlée pour avoir du succès. Avec les Eskimos, j'ai vécu une confrontation d'une intensité semblable lorsque nous affrontions les Stampeders de Calgary dans la série aller-retour de la fête du Travail. »

Enthousiaste face aux perspectives des siens, Maciocia n'éprouve qu'un regret : ce duel ne décidera pas du titre universitaire canadien. Les Carabins et le Rouge et Or occupent pourtant la tête du classement national. « J'espère qu'un jour, la Coupe Vanier opposera les deux meilleurs clubs au pays, même s'ils sont du Québec. Les partisans méritent ça. Dans mon esprit, ce serait la solution idéale. »

La structure actuelle est basée sur des affrontements régionaux. Aux États-Unis, le football universitaire a modernisé son système éliminatoire pour déterminer le champion national. Comme le suggère Maciocia, son pendant canadien aurait avantage à emboîter le pas.

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Maciocia en est à sa sixième saison avec les Carabins. Et son avenir immédiat suscite des interrogations. Demeurera-t-il sur le campus, où il est heureux et apprécié ? Ou sera-t-il tenté par un retour dans la Ligue canadienne de football (LCF) si les Alouettes lui proposent le poste de directeur général en remplacement de Jim Popp ?

Pour un gars de Montréal, la perspective de relancer l'organisation lui ayant donné sa première chance est emballante. Mais cela en vaudrait-il la peine ? Le sport professionnel est un milieu moins stable que sa contrepartie universitaire. Le caractère éjectable des sièges est plus prononcé. Et on ignore si la famille Wetenhall, qui a mis si longtemps à embaucher un entraîneur francophone, voudra confier le poste de DG à un Montréalais.

Les Alouettes n'ont pas encore communiqué avec Maciocia et on ignore s'ils le feront. Mais en discutant avec lui, on devine qu'il a un plan en tête, dans lequel la mise en valeur des athlètes du Québec et le renforcement des liens avec l'ensemble des intervenants de « notre » football sont des axes essentiels.

« Tu dois t'entourer de Québécois pour plusieurs raisons, dit-il. Ils porteront ce chandail avec beaucoup de fierté et les gens dans les estrades aimeront les regarder jouer. Et tu auras une équipe compétitive. Après tout, la meilleure conférence universitaire au Canada est au Québec. »

Macicocia ajoute qu'il aime « bâtir ». Et il rappelle que des DG canadiens ont du succès dans la LCF. Pourvu qu'ils aient des contacts aux États-Unis, ce qui est son cas.

Mais une autre question surgit : si Jacques Chapdelaine demeure en poste la saison prochaine, ce qu'il mérite entièrement, quelle serait la relation entre Maciocia et lui ? À Edmonton, Maciocia l'entraîneur-chef n'a travaillé avec Chapdelaine le coordonnateur à l'attaque qu'une seule saison avant le renvoi de ce dernier.

« Cette année-là, en 2007, on a perdu notre quart-arrière Ricky Ray en début de calendrier, dit Maciocia. On a eu une séquence de défaites. Quand tu perds, des frictions surgissent. Tu commences à avoir des problèmes, que ce soit entre les coachs ou les joueurs. Et à la fin de l'année, on a choisi d'aller dans une autre direction. Mais nous avions tous une partie du blâme pour cette mauvaise saison. »

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Quand ses joueurs sauteront sur le terrain samedi après-midi, Maciocia ne pensera pas aux Alouettes. Ni à toutes les leçons tirées de ses réussites et de ses échecs, des expériences qui le rendent encore plus performant aujourd'hui. Il essaiera simplement de mener les siens à la victoire, de « gagner la journée ». Les Carabins n'ont pas la popularité des Buckeyes d'Ohio State, mais la passion de leur coach pour le football est aussi forte que celle d'Urban Meyer.

PHOTO SIMON GIROUX, LA PRESSE

Hier, lors de la conférence de presse en marge de la Coupe Dunsmore qui sera disputée aujourd'hui, les entraîneurs des Carabins de l'Université de Montréal, Danny Maciocia, et du Rouge et Or de l'Université Laval, Glen Costantin, ont discuté dans la bonne humeur de l’affrontement.