Il est vraiment ironique de constater le silence radio des médias anglophones hors Québec face à la double gifle que viennent de subir les Franco-Ontariens : le gouvernement de Doug Ford a pulvérisé d'un coup le financement de la future université française à Toronto et le Commissariat aux services en français.

Ironique, parce que des médias comme le National Post, le Toronto Star et le Globe and Mail n'ont fait qu'une couverture minimale de cette saloperie raciste.

Ironique, parce que ces journaux sont pourtant formidablement proactifs quand vient le temps de couvrir le sort des minorités au Québec, notamment la minorité anglophone.

Mais les compressions francophobes - dites ça, camarades producteurs d'opinions de Toronto : fran-co-pho-bes - de Doug Ford sont passées sous le radar de ces mêmes producteurs d'opinions.

Ne comptez pas sur les médias canadiens-anglais hors Québec (le Montreal Gazette l'a fait) pour s'indigner de ce qu'un gouvernement piétine les droits de sa minorité francophone. C'est ironique, comme je disais, parce que quand il est question de la minorité anglophone du Québec, là, les analystes patentés torontois montent au créneau avec force et avec zèle.

Quand on lit le National Post, le Globe and Mail et le Toronto Star, des fois (je parle de médias respectables, j'exclus donc ce torchon xénophobe qu'est le Toronto SUN), on peut avoir l'impression que la minorité anglophone du Québec est réduite à l'esclavage.

Non, je n'utilise pas l'image de l'esclavagisme à tort et à travers. Vous rappelez-vous le «Pastagate»? C'est cette bêtise survenue il y a presque six ans, début 2013 : un inspecteur zélé de l'Office québécois de la langue française avait voulu sanctionner un restaurateur montréalais car des mots de son menu étaient en... italien.

L'affaire avait fait le tour du monde, et c'était bien fait pour l'OQLF. J'avais aussi raillé le zèle de l'OQLF.

Mais le 26 février 2013, une chronique publiée dans le Globe and Mail dans la foulée du «Pastagate» commençait avec une longue citation de Frederick Douglass, un Afro-Américain du XIXe siècle qui milita pour l'abolition de l'esclavagisme, après en avoir vécu les horreurs...

Puis, l'auteur de la chronique, Sandy White, a commencé sa chronique comme suit : «Douglass a écrit ces mots à propos de la guerre contre l'esclavagisme, avant la guerre civile. CEPENDANT, ON POURRAIT FACILEMENT ÉCRIRE CES MOTS À PROPOS DU QUÉBEC D'AUJOURD'HUI.»

C'est moi qui ai utilisé les majuscules, juste pour souligner la stupidité de faire un parallèle entre cette ignominie que fut l'esclavagisme des Afro-Américains aux États-Unis, dont les échos se font encore sentir de nos jours, avec le sort de la minorité anglophone du Québec, qui n'a - heureusement - jamais subi, de près ou de loin, les affres de l'esclavagisme.

Mais quand même, cette bêtise a été écrite, relue par un ou une «editor» qui n'a trouvé rien à redire et qui l'a publiée dans «Canada's National Newspaper». Probablement la même personne qui a publié un éditorial qui comparait le Cégep de Saint-Laurent aux talibans, dans un cas d'accommodement déraisonnable, en 2010...

Restons sur le Pastagate, prisme formidable et révélateur pour analyser l'indignation à géométrie variable de la presse torontoise quand il s'agit du sort des minorités. Ainsi, le 1er mars 2013, le National Post a publié un éditorial dont voici un extrait : «Le Québec mérite cet embarras international. LES CANADIENS SERAIENT SCANDALISÉS SI UN GOUVERNEMENT D'UN PAYS AVANCÉ TRAITAIT UNE MINORITÉ COMME LE QUÉBEC TRAITE SES ALLOPHONES ET SES ANGLOPHONES...»

(Les majuscules sont miennes, encore, pour marquer mon exaspération.)

Comprenez-moi bien : il y a toujours place à l'amélioration quant au traitement des minorités, au Québec et ailleurs dans le Canada.

Mais comparer le sort des anglos du Québec au sort de minorités qui provoquent des émois internationaux est malhonnête et exagéré.

Et je suis fier de ce fait comme Québécois : trois universités anglophones - McGill, Concordia et Bishop's - sont financées par les deniers publics. Le CUSM anglophone a été bâti en même temps que le CHUM francophone, avec la même ambition : que ces hôpitaux soient des hôpitaux de calibre mondial. Bien traiter ses minorités, c'est bien financer leurs institutions.

Alors... Il est où, le grand hôpital de calibre mondial francophone en Ontario? Nowhere. Il y a une génération de cela, il a fallu l'intervention des tribunaux pour sauver l'Hôpital Montfort d'Ottawa de la tentative d'assassinat des conservateurs (encore) de Mike Harris.

Il est où, le campus francophone en Ontario? Non, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne ne comptent pas : ce sont des universités bilingues. L'université francophone ontarienne ne verra pas le jour car le gouvernement Ford en a torpillé le financement, la semaine passée.

Where is the outrage? comme on dit à Toronto. Eh bien, nulle part. Les francophones de l'Ontario sont pourtant en pleine mobilisation. Leur indignation trouve des échos à Ottawa, où le premier ministre Trudeau et la ministre responsable des langues officielles, Mélanie Joly, ont dénoncé ces décisions. Cette indignation trouve des échos dans les communautés francophones ailleurs au Canada. Et dans les médias francophones.

Hier, le journaliste Étienne Fortin-Gauthier, de la chaîne publique ontarienne TFO, constatait ceci : PAS UN MOT SUR LA MOBILISATION DES FRANCOPHONES dans la presse torontoise. PAS UN.

(Les majuscules sont de moi, encore...)

Dans la presse torontoise, on a pu lire jusqu'ici le minimum syndical requis, une couverture factuelle, quelques lignes ici et là depuis l'annonce de jeudi dernier.

Je cherche les éditoriaux sur ces gifles à la minorité francophone ontarienne dans ces trois journaux de Toronto. Je cherche les chroniques. Je cherche une tonalité combative équivalente à celle qui teintait les opinions de ces médias dans «Pastagate»...

Pis je trouve pas.

Seule Chantal Hébert, dans le Toronto Star, y a consacré une chronique.

Je ne demande même pas aux commentateurs de médias canadiens-anglais hors Québec une métaphore liant le sort des Franco-Ontariens à celui des Afro-Américains qui ont vécu l'esclavagisme, ce serait exagéré.

Mais après des jours d'indignation face à la francophobie assumée de Doug Ford, sans dénonciations de médias torontois qui n'hésitent jamais à tomber dans l'exagération quand il s'agit de la minorité anglophone du Québec, il faut se rendre à l'évidence...

L'indignation de ces gens-là ne s'étend pas aux grenouilles.

Comment ils disent ça, déjà, en anglais? Je cherche les mots exacts...

Ah, oui : they don't give a shit.