Les médias du Québec et du reste du Canada ont fait leurs choux gras du «pastagate». Pourquoi cette nouvelle a-t-elle fait boule de neige, et si longtemps?

Pour les uns, comme le sociologue Simon Langlois, le pastagate est «un fait divers monté en épingle» qui dénote bien que «le Québec bashing n'est jamais bien loin». Pour d'autres, c'était simplement une anecdote trop savoureuse pour ne pas être reprise en boucle.

Excès de zèle il y a eu, admet M. Langlois, professeur à l'Université Laval. C'est d'autant plus regrettable, dit-il, que ces dérapages ont diabolisé une loi habituellement bien acceptée. «Même Stéphane Dion en a parlé comme d'une grande loi canadienne!»

Si la loi 101 continue de très mal passer chez les anglophones, elle a l'assentiment de 79% des Québécois - de 90% des Québécois francophones -, selon un sondage Angus Reid réalisé en 2011.

Oui à la loi 101, donc, mais non à l'orthodoxie.

Louise Beaudoin, ancienne ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, est la première à penser qu'un gros ménage s'impose.

«Au fil des ans, on a toujours ajouté amendement après amendement. Il faut que la loi redevienne simple, claire, compréhensible.»

La Charte de la langue française n'a pas été écrite pour faire la guerre aux pasta et aux spaghettis des restos italiens. C'est tellement vrai, relève Mme Beaudoin, «que la SAQ, un organisme public, utilise le mot pasta dans une de ses pubs!» («Pour l'amore d'un bon plat de pasta.»)

Une loi 101 plus claire? Les syndicats qui représentent les employés de l'Office québécois de la langue française (OQLF) ne demandent pas mieux. Parce qu'à l'heure actuelle, il ne fait pas très bon d'y être inspecteur.

À titre de présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec, Lucie Martineau représente les seuls cinq inspecteurs de l'OQLF qui font du terrain à temps plein. Elle n'a pas du tout apprécié le lynchage de ces inspecteurs par les médias, mais surtout par leur employeur, le gouvernement.  «Ce ne sont pas les fonctionnaires qui font les normes, dit-elle. Ils suivent des directives, c'est tout.»

Pour le reste, à son avis, ce pastagate n'était en fait qu'«un bon filon médiatique, de nature à faire boule de neige sur les médias sociaux par ceux qui en ont contre la loi 101». Des cas isolés, dit Mme Martineau, parmi quelque 4000 dossiers traités au cours de la dernière année au Québec.

Richard Perron, président du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, relève pour sa part que les 155 employés qu'il représente à l'OQLF demandent eux aussi depuis des années une précision des règles d'interprétation. «Les directives sont trop floues, il y a trop de zones grises.»

Selon lui, pour ses membres, c'est l'enfer. Les sarcasmes ont augmenté et ils craignent même d'être l'objet de menaces. «Certains membres ont peur d'aller sur la route. Ils craignent de tomber sur un Richard Bain.»

Tout de même, difficile de légiférer sur un concept aussi peu quantifiable qu'une langue. Beaucoup plus dur que d'imposer des limites de vitesse sur une autoroute?  «Même avec le Code de la route, répond Mme Beaudoin, quand la limite de vitesse est de 100 kilomètres à l'heure, chacun sait qu'on n'est pas inquiété si on s'en tient à 118 kilomètre à l'heure!»

Des cas isolés?

Les milliers de plaintes acheminées annuellement à l'OQLF par des citoyens et des groupes de pression se traduisent par autant de visites pas très agréables, comme en a encore témoigné hier un propriétaire de café italien qui a déjà essuyé des amendes qu'il n'a pas voulu payer.

Il est cependant rare que de telles visites se traduisent par des condamnations.

En 2012, aussi bien pour des refus de collaborer que pour des brochures, des affichages ou des modes d'emploi illégaux, il n'y a eu que 47 condamnations en Cour du Québec au regard de plus de 4000 plaintes.

Les amendes ont varié de 500$ à 1500$.

Une offensive péquiste?

Pour le Globe and Mail, «si l'Office québécois de la langue française est le dindon de la farce, il peut en remercier le Parti québécois».

Dans un éditorial publié la semaine dernière, le quotidien explique que le pastagate s'inscrit dans un contexte très malsain installé par le Parti québécois, un climat fait de villes bilingues menacées et de citoyens invités à jouer aux sentinelles de la langue. «Quand un gouvernement lance son mandat en encourageant les Québécois à se moucharder les uns les autres et refuse de se montrer flexible là où c'est tout indiqué, alors vous vous ramassez avec des inspecteurs à courte vue demandant le retrait du mot pasta dans un menu italien.»

Le pastagate est-il le fait d'un Parti québécois qui a durci son approche?

Au regard du nombre de plaintes enregistrées à l'Office, il faut attendre l'an prochain pour le voir, le PQ n'étant au pouvoir que depuis septembre.

Aussi ulcérés aient-ils été par les critiques gouvernementales sur l'excès de zèle des enquêteurs, les deux présidents de syndicat représentant les employés de l'OQLF l'assurent: leurs membres n'ont jamais reçu de mot d'ordre de l'OQLF de serrer la vis.

À noter, enfin, que l'affaire du Holder est arrivée quand les libéraux étaient au pouvoir, il y a un an. L'inspection du Joe Beef aurait eu lieu il y a quatre ou cinq mois, selon son propriétaire, donc alors que le PQ venait tout juste d'être élu. L'affaire au Buenanotte, qui est récente, s'est conclue par maintes excuses et une fermeture de dossier.

Enfin, relevons que la présidente de l'Office québécois de la langue française - nommée par les libéraux - n'a pas été dégommée à l'arrivée du Parti québécois.