Le monsieur s'appelle Pierre Veilleux, il est président de l'Association des policiers provinciaux du Québec, et je crois qu'en 2009, il doit avoir marché sur le pain de savon, dans sa douche, avant de tomber et de sombrer dans un profond coma.

C'est la seule façon d'expliquer ses déclarations hostiles au projet de loi péquiste qui va dépoussiérer la façon dont on enquête sur les interventions policières qui tuent ou blessent gravement des citoyens, par la création d'un Bureau des enquêtes indépendantes, un BEI qui serait composé de civils et de policiers à la retraite.

«On ne nous a jamais montré d'enquête qui a été mal faite ou complaisante. Ça reste toujours une simple perception alimentée par les groupes de pression antipolice. Regardez le projet de loi, c'est quasiment à leur image», a-t-il dit hier à mon camarade Vincent Larouche.

Je dis 2009, car c'est l'année où une enquête du coroner a révélé à quel point la Sûreté du Québec (SQ) a bâclé son enquête concernant la mort de Fredy Villanueva, tué par les balles d'un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en août 2008.

C'est dans le manuel de tout enquêteur de police: il faut parler aux principaux témoins d'un événement le plus rapidement possible, pour obtenir les renseignements les plus frais possible. Il faut séparer les témoins, pour éviter que les versions ne se contaminent. Il faut agir rapidement, aussi, pour éviter que les témoins n'aient le temps de s'entendre sur une version des événements.

Selon ce paradigme universel de gestion d'une enquête de crime majeur, la SQ a interrogé, dans les heures et les jours qui ont suivi le drame de Montréal-Nord, plus de 70 témoins...

Mais pas les deux agents du SPVM!

Cette façon de faire digne d'un corps de police congolais a été la façon de faire de notre police provinciale. Et a été l'exemple suprême de tout ce qui cloche quand la police enquête sur la police.

Enquête «mal faite ou complaisante» ?

You bet.

Partout en Occident, la police qui enquête sur la police suscite des malaises. Ce n'est pas unique au Québec.

Partout en Occident, on cherche des façons de répondre au public qui doute de l'impartialité des flics qui enquêtent sur les flics, qu'ils soient ou pas de leur corps de police.

Partout en Occident, on étudie divers modèles d'enquêtes sur la police, la plupart comportant l'addition de civils non policiers à ces enquêtes.

C'est ce qui ressortait, en novembre dernier, d'une revue de la littérature scientifique sur cette crise de confiance commandée par la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada et intitulée «La police enquêtant sur la police: une analyse critique de la documentation».

Extrait: «Il est donc raisonnable de conclure que la tendance vers la participation civile accrue demeurera tout aussi forte. Il semblerait que la question consiste non plus à déterminer si l'examen civil est souhaitable ou possible, mais plutôt à établir si la participation civile aux enquêtes et aux processus disciplinaires peut se révéler plus efficace pour satisfaire à la responsabilisation envers le public», peut-on lire dans le document.

M. Veilleux et les autres chefs d'associations de policiers qui pestent contre la fin du régime de la police qui enquête sur la police s'opposent à une tendance lourde dans le monde.

Stéphane Bergeron, ministre de la Sécurité publique, m'a dit avoir «un peu sursauté» en lisant la déclaration de Pierre Veilleux dans La Presse d'hier. Il a cité, lui aussi, le cas Villanueva pour illustrer la méfiance du public envers la police qui enquête sur la police.

«L'effet fut de créer une suspicion dans le public. La façon d'enquêter dans le cas Villanueva était-elle justifiée ou non? Là n'est pas la question. Car le système de justice repose sur la confiance du public.»

D'où le besoin criant, selon le ministre, de réformer le système actuel, qui confie à un corps de police «indépendant» la responsabilité d'enquêter quand un policier tue ou blesse un citoyen. Le SPVM enquête quand un agent de la SQ tue ou blesse quelqu'un; la SQ enquête quand un policier du SPVM tue ou blesse quelqu'un...

Pas besoin d'être adepte des théories du complot pour croire aux possibles retours d'ascenseur entre corps de police «indépendants».

«Quand la police enquête sur la police, c'est le cousin qui enquête sur son cousin. Aux yeux du public, il y a un manque de légitimité», constate le ministre Bergeron.

La réforme proposée par M. Bergeron n'a rien de radical: on trouve des modèles similaires ailleurs, en Ontario, en Irlande, en Australie.

Rien de radical, mais devant l'hostilité des policiers, et de certains de leurs alliés à l'Assemblée nationale, on peut dire qu'il y a quelque chose comme de la bravoure dans ce projet de loi.