Ma mère avait une peur bleue des polyvalentes. Elle avait supplié mon père de payer pour m'envoyer au privé. En vain. Deux polyvalentes lavalloises plus tard, je ne suis ni tombé dans l'enfer de la drogue ni devenu sergent dans un gang de rue. La «preuve» qu'un enfant du public peut bien tourner: j'écris dans la grosse Presse!

Bref, quand j'ai mis le nom de mon fils sur la liste d'attente d'une école primaire privée, c'était uniquement parce que celle-ci était à un coin de rue d'où nous vivions. L'école en face de l'appart, une école alternative de la très publique Commission scolaire de Montréal (CSDM), était évidemment la plus proche. Mais la «candidature» de l'héritier y fut refusée. Ah, la maudite sélection! Pas qu'une tare du privé, apparemment...

Quand vint le temps de la rentrée 2010, les aléas de la vie ont fait que mon fils était inscrit à l'école du quartier de l'appart de sa mère. Une école publique de la CSDM, dans Rosemont. Je n'avais aucune espèce de préjugés, même si l'école souffrait d'une mauvaise réputation parmi les parents que je connaissais dans le quartier.

Je me rappelle ce matin-là. Je me souviens d'avoir braillé comme un veau, en le voyant marcher dans ses vêtements neufs, un sac d'école trop gros sur son petit dos.

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Je me rappelle aussi la première chose que j'ai vue en mettant le pied dans la cour de cette école: des éclats de verre brisé, vestiges de quelques bouteilles de bière balancées là. J'étais loin d'être impressionné qu'on ait laissé traîner ça, en ce jour de rentrée.

Dans certaines écoles de Montréal, je sais que la rentrée est l'occasion de faire une grande fête dans l'école. Mais en ce matin d'août 2010, ni jeux gonflables, ni mascottes, ni musique n'attendaient les ti-culs de la maternelle. L'atmosphère dans le gymnase était aussi jojo qu'au centre de tri du goulag.

Sans convivialité et sans bonne humeur, les trois profs plantés au centre du gymnase appelaient les élèves un par un. Une fois sur deux, un père ou une mère devait aller pousser son enfant dans le dos vers le prof, parce qu'il était soit a) mort de trouille comme tout bon enfant de 5 ans à son premier jour d'école, soit b) assourdi par l'écho de la voix de ces adultes inconnus.

Même pas foutus, ces adultes, d'appâter les écoliers avec des noms de groupes ludiques de type Girafe, Licorne ou Calinours. Non, ce fut groupe 1, groupe 2, groupe 3. Bonjour l'ambiance.

Puis, la directrice est venue faire son petit laïus de début d'année aux parents. Je ne suis pas exactement dans l'équipe de Mme Denise Bombardier quand il s'agit d'étiquette et de décorum, mais quand une directrice interrompt son discours pour a) essuyer son nez enrhumé avec son avant-bras et b) s'exclamer: «Je sais pas ce que j'ai ce matin, j'ai le nez qui me coule!», je commence sérieusement à me dire que quelque chose cloche dans cette école.

Le lendemain, j'étais hors du pays. La maman de Zak m'a relaté de nouvelles anecdotes trahissant un laisser-aller inquiétant dans l'école.

Bref, quand mon téléphone a sonné et que la secrétaire de l'école privée évoquée plus haut - dont j'avais même oublié l'existence - m'a annoncé qu'une place en maternelle venait de se libérer, je ne l'ai pas laissée finir sa phrase. «On la prend», l'ai-je interrompue. Le lendemain, il était dans la classe des Ouistitis.

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Mon fils était en maternelle quand j'ai interviewé Diane De Courcy, alors présidente de la CSDM, pour Les francs-tireurs. Lors d'une discussion à bâtons rompus, Mme De Courcy (désormais ministre dans le cabinet Marois) m'a demandé pourquoi j'avais envoyé mon fils au privé. Je lui ai raconté les anecdotes évoquées dans cette chronique. Quand j'ai nommé l'école, Mme De Courcy a soupiré: «Ça fait 10 ans qu'on a des problèmes dans cette école.»

Il y a quelque chose de pourri au royaume du public quand on laisse une école à la dérive pendant 10 ans. Il y a sûrement d'excellentes raisons bureaucratiques à cela, mais elles sont toutes mauvaises aux yeux des parents.

Je suis pour le système scolaire public. Mais le jour où mes beaux principes ont fait un face-à-face avec la réalité d'une école délabrée, j'ai été heureux d'avoir accès au privé. Même si c'est dispendieux. Pas grave: l'éducation de mon fils n'a pas de prix.

Pour joindre notre chroniqueur: plagace@lapresse.ca