Je suis riche. Et je ne vais pas dire «riche» comme le font beaucoup de commentateurs ces jours-ci pour décrire quelqu'un qui gagne plus de 130 000$ par année. Dans une société où le salaire moyen est de 42 190$, je suis riche. Point.

Bien sûr, il y a plus riche que moi. Je suis loin de pouvoir m'acheter un jet privé ou même d'en avoir un en «time share». Je n'ai pas de villa aux îles Turquoises. Je ne peux pas m'acheter une maison cash. Je ne peux pas cesser de travailler, non plus.

Je vous parle des riches, car cela est probablement venu à vos oreilles: les riches sont furieux, ces jours-ci. Furieux contre le Parti québécois qui va hausser leurs impôts.

Pour aller chercher un milliard, le nouveau gouvernement crée deux nouveaux paliers d'imposition, pour ceux qui gagnent: a) plus de 130 000$ par année et b) plus de 250 000$ par année. On parle de revenu imposable, ce qui reste après qu'on ait soustrait REER et/ou régime de retraite. Gains en capital et dividendes seront aussi visés par le fisc.

Un milliard, c'est le prix d'une promesse péquiste: l'abolition de la taxe santé des libéraux, une taxe de 200$ par contribuable, jugée régressive. Traduction: gestionnaire de fonds de Westmount ou hygiéniste dentaire de Saint-Lin-Laurentides, le montant de la taxe santé était le même pour tous.

Personnellement, je n'ai aucun problème avec cette hausse d'impôts. Haussez mes impôts, Mme Marois. J'en ai les moyens.

Je pense que la différence entre gagner 30 000$ et gagner 50 000$ est énorme pour le niveau de vie. Mais je pense que la différence entre gagner 130 000$ et 150 000$ est à peu près microscopique. On ne me fera pas pleurer en allant piger un peu plus dans les poches de ceux qui font plus de 130 000$. Pour paraphraser Oliver Wendell Holmes Jr., juge à la Cour suprême des États-Unis de 1902 à 1932: «Les taxes, c'est le prix d'une société civilisée».

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Luc Godbout est prof à la Faculté d'administration de l'Université de Sherbrooke. Sa spécialité: la fiscalité. Il y voit clair et il explique la chose clairement. Ce qui me laisse pantois: la fiscalité, pour moi, c'est comme tenter de faire de l'algèbre en mandarin...

Le prof Godbout a fait le calcul et pour quelqu'un qui gagne 400 000$ par année, en vertu des deux nouveaux paliers d'imposition du PQ: c'est 15 000$ d'impôts supplémentaires annuellement. À 250 000$, c'est environ 5000$ de plus.

Mais selon M. Godbout, le Québec est mûr pour un débat beaucoup plus large sur la fiscalité, plus large que la simple imposition supplémentaire des citoyens les plus riches. «En campagne électorale, selon ce que je perçois, les partis lancent des propositions fiscales sans tenir compte des impacts réels.»

Des états généraux de la fiscalité? Ce serait plate à mort, bien sûr. Mais capital: la fiscalité, c'est le carburant dans le moteur de l'État. C'est ce qui finance toutes ces choses, grandes et petites, qui font qu'une société est civilisée.

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Les riches sont furieux. Ils disent avoir un noeud dans le ventre en pensant à ce nouveau gouvernement «socialiste». Pas moi.

Sauf que je crois que le problème est mal posé. Quand le débat sur la fiscalité oppose riches, «riches» et gagne-petit, il y a une petite caste qui se fait toute petite, dans le coin de la salle. Et qui sourit discrètement. Parce qu'on ne parle pas d'elle.

Je parle de la caste des hyperriches, individuellement, mais surtout corporativement. Je parle de ceux qui ont assez d'argent pour que cet argent puisse aller se faire bronzer dans des paradis fiscaux.

Vous et moi ne pouvons pas aller nous faire incorporer dans les îles Anglo-Normandes ou aux îles Caïman pour éviter de payer de l'impôt. Pourtant, des individus et des multinationales le font, en toute légalité. C'est permis. C'est fou, mais c'est permis.

Ce faisant, les États se privent volontairement de milliards et de milliards en revenus fiscaux. Pour financer les services de nos sociétés civilisées, les États sont donc forcés de piger de plus en plus dans les poches des contribuables. Les entreprises, elles, sont de moins en moins sollicitées.

Les multinationales, leurs lobbies et leurs chantres ont fait passer pour tout à fait normal que cet impôt d'entreprise soit de moins en moins important.

En août 2011, au plus fort de la crise budgétaire américaine, le commentateur américain Dylan Ratigan a fait une montée de lait aussi pugnace qu'émotive, à MSNBC, sur le fait que son pays se prive volontairement de milliards de dollars en revenus fiscaux.

«C'est mathématique, a lancé Ratigan en parlant du déficit budgétaire américain. Les États-Unis d'Amérique se font soutirer [des milliards] par le système bancaire, par le commerce, par la fiscalité. Et il n'y a pas un seul politicien qui ose s'attaquer à cela.»

Haussez mes impôts, Mme Marois. J'en ai les moyens. Mais il faudra bien un jour oser s'attaquer à ces paradis fiscaux, à ces trous noirs que personne n'évoque jamais dans la classe politique.