À la fin des années 50 à Fort Pierce, en Floride, est né un groupe, une troupe, un mouvement : les Highwaymen. Qui étaient-ils ? Des journaliers des camps de travail, des cueilleurs dans des plantations d'agrumes, tous afro-américains et tous payés des pinottes pour leur peine.

Le fondateur de leur groupe s'appelait Alfred Hair. C'était un étudiant en art de Fort Pierce. Encouragé par ses profs, non seulement le jeune Afro-Américain s'est mis à peindre, mais il a aussi commencé à donner des cours de peinture à ses amis et connaissances qui se tuaient à l'ouvrage sans pouvoir nourrir convenablement leurs enfants.

Alfred Hair leur a proposé de se libérer par l'art et de couper leurs chaînes avec un pinceau, de la toile, des tubes de peinture, afin de peindre les paysages luxuriants d'une Floride par endroits encore sauvage et intouchée par les pelles mécaniques.

C'était une idée très audacieuse, voire complètement folle, en contradiction avec la ségrégation toujours bien en place. Et pourtant, bientôt ils étaient deux, puis trois, puis cinq, puis 26 à entrer dans la danse, dont une femme et mère de sept enfants, Mary Ann Carroll.

Vingt-six à quitter les camps de travail et les plantations et à troquer leurs outils pour des pinceaux, des panneaux de fibres Upson et des cadres fabriqués à partir de moulures de portes et de fenêtres, peints et blancs et brossés avec un vernis doré.

Vingt-six à vivre de leur art et à vivre nettement mieux, puisqu'ils vendaient chaque toile de 15 à 25 $ et gagnaient de 10 à 20 fois plus qu'ils ne gagnaient avant.

Ainsi naquit le groupe des Florida Highwaymen, peintres amateurs qui auraient créé quelque 200 000 toiles des paysages floridiens des années 60.

Évidemment, en raison de la ségrégation, qui a été abolie en 1964 en Floride mais dont il restait des traces et des séquelles, ces peintres afro-américains n'étaient pas admis dans les galeries ni les centres commerciaux de la Floride florissante. C'est pourquoi ils remplissaient les coffres de leurs vieux bazous de toiles et s'installaient sur le bord des autoroutes pour les vendre.

Leurs tableaux n'étaient pas du grand art à la Picasso. C'était des oeuvres primitives et kitsch, croulant sous les couleurs bonbon et les paysages idéalisés par le sentimentalisme de leur regard. Mais ces tableaux avaient un style propre qui, de toute évidence, répondait aux goûts des nouveaux propriétaires de Cadillac de la Floride florissante des années 60.

Pendant près d'une décennie, les Highwaymen ont pu améliorer leurs conditions de vie et retrouver une certaine estime d'eux-mêmes. Et puis, au tournant des années 70, Alfred Hair a été tué lors d'une dispute dans un bar. Sa mort a plus ou moins signé celle du mouvement qu'il avait créé. Les Highwaymen sont tombés dans l'oubli et leurs oeuvres ont disparu dans des ventes de débarras.

Il y a une douzaine d'années, Tony Hayton, un résidant d'Ottawa, naviguait sur le Net à la recherche d'un tableau mettant en valeur un paysage floridien. Il est tombé par hasard sur une toile attribuée aux Highwaymen. N'ayant jamais entendu l'expression et ignorant l'existence du groupe, il est parti à la recherche d'explications. C'est ainsi que naquit un intérêt, et que s'amorça une collection de plus de 80 toiles portant le sceau des Highwaymen.

Depuis, Tony Hayton milite activement pour faire connaître et reconnaître l'oeuvre des Highwaymen. Il a rencontré Michelle Obama en 2011 et lui a même présenté Mary Ann Carroll, l'une des rares survivantes du groupe.

Mieux encore : depuis hier, la collection de Tony Hayton fait l'objet d'une exposition à la galerie Saw à Ottawa, qui sera présentée jusqu'à la fin de février dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs. 

Il est d'ailleurs question que cette exposition kitsch et colorée vienne à Montréal.

Plus ça va et plus ils sont nombreux à s'intéresser à l'oeuvre des Highwaymen et à l'intégrer dans des collections privées. Un film sur cette histoire fascinante est d'ailleurs en chantier. La production de 8 millions et mettant en vedette Whoopi Goldberg devait être tournée à Fort Pierce, mais, faute de crédits d'impôts, le tournage aura lieu à Savannah, en Géorgie.

Le fils d'Alfred Hair, propriétaire d'une galerie à Fort Pierce consacrée aux oeuvres de son père, aurait préféré que le film se tourne là où les Highwaymen ont peint et vécu, mais tant pis. L'important, c'est que le film se fasse et que l'histoire des Highwaymen soit racontée. Et puis, avec un peu de chance, qui sait si l'année prochaine, les Highwaymen ne feront pas mentir les Oscars trop blancs ?

Photo tirée du site web de La Petite Mort Gallery

Firesky #5, de Sam Newton : huile sur panneaux de fibres Upson