Depuis le début du FFM, tous les cinéastes ou acteurs qui viennent présenter leur film au public montréalais le matin ont le même mot à la bouche: «courage». C'est arrivé encore hier matin avant la projection de Fou d'amour. La jeune actrice Diane Rouxel, la seule de son équipe à avoir fait le voyage à Montréal, a salué le «courage» des Montréalais qui s'étaient déplacés pour venir voir son film à 9 heures du matin. Comme s'il fallait du cran et une bonne dose de force morale pour se lever et aller au cinéma. Je rêve, ou quoi?

Deux heures plus tard, le réalisateur américain Eric Weber d'Outliving Emily a eu sensiblement les mêmes propos: «Merci d'être aussi nombreux au cinéma même s'il est 11 heures un samedi matin.»

En sommes-nous rendus là? À nous étonner que la salle ne soit pas vide? Le cinéma va-t-il si mal? Devrions-nous remettre des médailles de bravoure ou des certificats honorifiques à quiconque se pointe à une séance avant midi?

Pour en avoir le coeur net, j'ai posé la question à Diane Rouxel, le joli ange aveugle et blond de Fou d'amour, qui a été la première, mais non la seule, à voir du courage là où il n'y avait qu'un comportement normal de la part de gens aimant le cinéma. «C'était un peu une figure de style, mais il y a aussi que j'ai présenté ce film-là le matin à plusieurs reprises devant des salles presque toujours vides. J'ai trouvé ça sympa que ça ne soit pas le cas à Montréal.»

Eric Weber, publicitaire, écrivain et réalisateur sur le tard de New York, a quant à lui été séduit par l'enthousiasme cinéphilique qu'il a ressenti au FFM, et tout particulièrement à la séance de 11 h, hier matin, qui affichait presque complet.

«On sent l'appétit pour le cinéma des Montréalais et ça fait du bien. J'ai déjà présenté un film [Second Best] au festival de Sundance et je n'ai pas senti cet enthousiasme.»

«À Sundance, les gens ne veulent pas voir des films, ils veulent être vus ou avoir des billets pour la fête, après. Quant à New York, la ville où je vis, je n'ai jamais vu personne aller au cinéma à 11 heures du matin», a-t-il conclu.

Va pour le courage et la cinéphilie montréalaise. Il n'en demeure pas moins que si Eric Weber fréquentait plus souvent les festivals de Cannes, Berlin, Venise ou même New York, il verrait que les salles de cinéma sont non seulement pleines et archipleines à 9 heures du matin, mais qu'en plus, les gens poussent le courage jusqu'à faire la file dès 8 heures du matin.

Sauf qu'Eric Weber ne risque pas d'être invité de sitôt à Cannes. Idem pour son film Outliving Emily, l'histoire d'un mariage en six actes où le couple formé par Tim et Emily non seulement vieillit, mais change parfois de couleur de peau ou de sexe.

Dans le premier acte de la rencontre, Tim et Emily sont deux jeunes blancs-becs américains de la fin des années 50. Dans l'acte deux, Tim est interprété par un acteur d'origine indienne. Au tournant de la quarantaine, Tim et Emily sont devenus Tim et Émile, un couple gai, et dans l'avant-dernier acte, ce sont des Noirs américains. Cette structure pour le moins surprenante n'est pas dépourvue de charme, tout comme l'est le vieux couple interprété par Olympia Dukakis, qui joue en duo avec son vrai mari, Louis Zorich. Malheureusement, Eric Weber n'est pas un grand réalisateur et sous sa gouverne, ce qui était une belle et brave idée sombre dans la banalité poussive d'un vieux téléfilm.

Heureusement, ce n'est pas le cas pour Fou d'amour, la première grande et belle prise du FFM cette année. Tiré d'un fait divers qui s'est déroulé en France, Fou d'amour, de Philippe Ramos, reprend la célèbre affaire du curé d'Uruffe, un manipulateur et pervers narcissique avant la lettre qui non content d'avoir mis enceinte deux jeunes femmes, a tué la deuxième et l'a éventrée pour baptiser l'enfant à naître puis le tuer à son tour. Reconnu coupable, le curé a évité la peine de mort et passé vingt-deux ans en prison avant d'être libéré et de finir sa vie dans une abbaye. Le curé séducteur est interprété avec brio par Melvil Poupaud dans un film qui débute presque comme une comédie légère et amusante avant de basculer dans les ténèbres.

Philippe Ramos, qui appartient à la nouvelle garde du cinéma français, est aussi bédéiste. Et contrairement à son concurrent américain, il manifeste une maîtrise totale du récit et de l'écriture cinématographique.

Ses images, ses cadrages, la composition de ses tableaux sublimes campés dans la campagne française, la progression dramatique du récit ponctuée par une musique lancinante, tout dans ce film est magnifique et captivant.

Le thème du curé dépravé a beau être un des grands thèmes du cinéma, Ramos le réinvente de belle façon. L'an passé, c'est un film sur un autre curé dépravé qui avait remporté le Grand Prix des Amériques. Et même s'il est trop tôt pour faire des prédictions, disons que Philippe Ramos a une longueur d'avance sur ses concurrents et qu'on n'a besoin d'aucun courage pour le reconnaître.