Les religions ont un problème de scénaristes et de scénarisation. Je viens encore d'en avoir l'éclatante preuve avec le film d'ouverture du FFM: Muhammad, une superproduction iranienne de 40 millions. Oublions un instant les millions engloutis au nom de Dieu, de Muhammad ou de Mahomet, comme on le nomme chez nous. Et concentrons-nous sur le scénario.

C'était en tous les cas ma ferme intention en prenant place dans la salle de cinéma hier matin. Comme je ne connais pas grand-chose à l'islam, j'avais très hâte d'aller à la découverte de celui que les musulmans vénèrent. Et d'autant qu'un seul autre film a été produit sur Mahomet avant que celui-ci voie le jour. Bref, j'avais le sentiment d'assister à un événement majeur qui allait enfin combler de grands trous dans ma culture religieuse.

Cela faisait une bonne heure que ça se bataillait et que ça se bagarrait à l'écran quand, enfin, le prophète est apparu ou, du moins, qu'il est né.

Les étoiles dans le ciel se sont mises à briller comme des néons, et une lumière éclatante est descendue du ciel pour nimber la petite maison au fond d'une cour où le divin enfant venait de naître sous le regard pur et attendri de sa mère.

Et tout d'un coup, je me suis demandé si je rêvais ou si je m'étais trompée de salle de cinéma. Car la naissance à l'écran de bébé Mahomet ressemblait à s'y méprendre à la naissance d'un autre mythique nourrisson. J'ai nommé bébé Jésus-Christ.

À ce que je sache, Mahomet et Jésus ne viennent pas du même moule, du même monde ni de la même époque, mais pourquoi diable cette étrange et confondante ressemblance?

Bon d'accord, il n'y avait ni boeuf, ni âne, ni étable, lors de la naissance de Mahomet. Sa mère était célibataire plutôt que vierge et portait le nom d'Amina et non de Marie, mais ce sont des détails.

Pour le reste, la naissance miraculeuse de Mahomet ou de Jésus, si je me fie à ce film qui s'est appuyé sur les recherches d'une armée d'érudits, c'est pas mal de la même eau sur le plan symbolique et scénaristique.

À l'écran, bébé Mahomet, dont on ne voit jamais le visage puisque l'islam l'interdit, s'est mis à grandir et bientôt, il s'est mis à ressusciter des morts, à réveiller des sources d'eau taries, à s'occuper des pauvres et des lépreux, à apaiser les océans, à arrêter un tsunami d'une main et à faire une pêche miraculeuse de l'autre. Non, mais.

Je comprends que les religions chrétienne et musulmane ont des troncs communs, mais me semble que leurs scénaristes respectifs auraient pu faire un effort d'imagination, au lieu de se plagier les uns les autres.

Je suis parfaitement consciente que l'Histoire se répète et que le monde s'est bâti sur des guerres menées par des chefs assoiffés de pouvoir qui ne voulaient rien savoir des missionnaires, prêchant l'amour et la paix, mais ce n'est pas une raison pour nous servir en double le même héros parfait.

Il est vrai que Jésus a un grand avantage sur Mahomet. La cinématographie mondiale compte au moins 200 films sur Jésus. Il y en aurait un peu moins, disons 100, sur Moïse. Même Boudhha compte à son actif une quinzaine de films, dont un avec Brad Pitt et un autre, Little Buddha, réalisé par le cinéaste du Dernier tango à Paris. Mahomet, pour sa part, fait figure de parent pauvre avec cette unique production américaine, The Message, datant de 1976 et mettant en vedette Anthony Quinn.

C'est d'ailleurs à cause de cette rareté et aussi à cause des terroristes qui, selon le cinéaste Majid Majidi, ont dénaturé le visage de l'islam et de Mahomet qu'il a voulu à tout prix réaliser ce film. Or, en apprenant la nouvelle, un producteur du Qatar a décidé que la version iranienne du prophète n'était pas la bonne. Il a entrepris de riposter avec sa propre version du prophète. Prochainement sur nos écrans.

Certains se plaignent déjà que deux films sur Mahomet, c'est assez. Inutile d'en rajouter.

Je ne partage ce point de vue qu'à moitié. Car s'il est vrai que le cinéma mondial n'a pas besoin d'un autre péplum lourdaud mettant en vedette une toge blanche sans visage qui multiplie les miracles, le monde, lui, en a besoin. Besoin que des ennemis comme les Iraniens et les Qataris se fassent la guerre à coup de films plutôt qu'à coup de bombes. Besoin qu'ils jouent du muscle avec des images plutôt qu'avec des menaces.

Que les belligérants déposent les armes et s'arment d'une caméra est le meilleur scénario possible. Ne reste plus qu'à trouver un vrai scénariste avec de l'imagination pour l'écrire.