Le droit de vote des femmes aura 75 ans samedi prochain, le 25 avril. Dans les circonstances, un rappel historique s'imposait. Il aurait pu prendre toutes sortes de formes, mais finalement, c'est un projet de Flavie Payette-Renouf qui a remporté la mise et le mandat.

Le résultat est un documentaire de 56 minutes: 75e: elles se souviennent, produit par les Productions J et mettant en vedette la parole des Janette Bertrand, Maman Dion, Lise Payette, Liza Frulla et Denise Bombardier, mais aussi des Tamy Emma Pepin et Martine Desjardins. Le documentaire sera diffusé à l'antenne de Télé-Québec lundi prochain. J'écris documentaire, mais dans les faits, la petite-fille de Lise Payette vient d'inventer un nouveau genre: l'infopub féministe.

Pour ce qui est de l'aspect féministe de la démarche, je n'ai aucun problème. Après tout, faire un film sur le droit de vote des femmes qui ne serait pas féministe serait absurde, sinon contre nature. Le droit de vote des femmes, c'est le début du féminisme et à plus forte raison au Québec, où ce droit est arrivé des années après que les Canadiennes l'eurent obtenu et au bout de 13 projets de loi avortés.

Le féminisme du film ne m'indispose pas. Tout le contraire. C'est l'aspect infopub du film qui m'a contrariée, pour ne pas dire qui m'a tapé royalement sur les nerfs pendant la projection de presse, mardi après-midi.

Parmi les premières notes que j'ai prises dans le noir, il y avait ces trois mots: gros beat disco. Le documentaire débute en effet sur des images d'archives plombées par le gros beat disco d'une musique tonitruante. Je pensais que dès que les premières intervenantes du film prendraient la parole, le gros beat disco se tairait. Que non! Tout au long des 56 minutes, hormis quelques secondes de pause, on doit se farcir cette insupportable musique en canne produite par Bam.mu, une entreprise française qui a ouvert un bureau à Montréal et qui se définit comme une librairie de musiques destinées aux médias. Une librairie? Plutôt une usine.

Malheureusement, cette musique tartinée partout donne le ton: un ton publicitaire, tonitruant, fabriqué, plaqué et bien trop volontariste pour susciter la moindre réflexion. En contrepartie, les premiers témoignages des doyennes que sont Janette, Maman Dion, Lise Payette et Liza Frulla sont loin d'être sans intérêt. C'est dans ces premiers témoignages aussi qu'on mesure toute la force de caractère de Janette et de Maman Dion, deux femmes qui n'étaient pas de la haute, mais qui, fièrement et avec un bel esprit rebelle, ont refusé d'être enfermées docilement dans la case qui leur était réservée.

Maman Dion est particulièrement touchante quand elle raconte son périple à la banque et sa rencontre avec un banquier qui a refusé de l'aider à financer un projet de petite entreprise, tout simplement parce qu'elle n'était pas un homme. L'écouter, c'est entendre la formidable source de détermination dont Céline s'est sans doute inspirée tout au long de sa carrière.

Janette, pour sa part, demeure cette communicatrice hors pair et attachante qui, mieux que quiconque, sait raconter l'esprit rétrograde de l'époque où elle a grandi alors que les femmes qui voulaient dépasser leur condition d'opprimées étaient considérées comme des maudites folles, voire des femmes à barbe.

Quant à Lise Payette, elle aura cette jolie parole voulant que la seule révolution tranquille qu'elle ait connue soit celle des femmes. Elle en aura une beaucoup moins heureuse dans le segment portant sur l'arrivée des femmes sur le marché du travail pendant la guerre. Sur un ton jovialiste et dénué de tout esprit critique, elle raconte comment les femmes ont commencé à gagner de l'argent en fabriquant des bombes et des balles. «Enfin, elles gagnaient de l'argent qu'elles pouvaient dépenser!», s'exclame-t-elle avec ravissement.

Ce petit extrait franchement gênant est symptomatique d'un film qui manque de finesse et de profondeur et qui n'est pas vraiment éclairant. Je comprends qu'on veuille célébrer le 75e anniversaire du droit de vote des femmes et qu'on veuille rafraîchir la mémoire défaillante des nouvelles générations qui ignorent peut-être qu'il fut un temps où les femmes n'avaient pas le droit de voter, de signer un bail ou d'ouvrir un compte à la banque sans leur mari. Il n'en demeure pas moins que ce n'est pas rendre service à quiconque que de verser dans le triomphalisme et dans une certaine forme de propagande sans la moindre distance critique.

Le meilleur exemple des raccourcis historiques que prend ce film est le segment concernant l'élection de Pauline Marois, qui, en passant, vient tout de suite après le passage sur le massacre de Polytechnique. Flavie, qui réalise, mais fait aussi les entrevues, demande à Pauline Marois comment elle s'est sentie le soir où elle est devenue la première premier ministre de l'histoire du Québec. Disons que ce n'est pas la question la plus originale de l'année, d'autant plus qu'elle a été posée à Pauline au moins six millions de fois, mais passons. Des images du soir de la victoire au Métropolis défilent à l'écran. Plusieurs images même, mais aucune ne montre Pauline escortée in extremis hors de scène par les policiers et pas un mot sur l'attentat dont elle a failli être victime. C'est ce qu'on appelle occulter un moment important, pour ne pas dire crucial, de l'histoire.

Oui, une première femme a été élue au plus haut poste du gouvernement, mais elle a aussi failli en payer le prix de sa vie. Me semble que ça méritait qu'on le souligne, non? De toute évidence, Flavie Payette-Renouf ne voulait pas laisser les faits gâcher la fin heureuse de son infopub. Dommage pour elle. Son film est peut-être bien intentionné, mais je doute qu'il passe à l'histoire.