Lundi, sur mon compte Facebook, si on ne m'a pas annoncé 275 fois la nomination de Simon Brault à la direction du Conseil des arts du Canada (CAC), on ne me l'a pas annoncée une fois. Dans bien des cas, c'était Simon Brault lui-même ou alors des gens de son entourage qui relayaient l'info sur les réseaux sociaux.

De toute évidence, il s'agissait d'un grand honneur pour celui qui est entré à l'École nationale de théâtre au milieu des années 70 comme simple homme à tout faire avant d'en devenir un indispensable pilier.

Trente-sept ans plus tard, Simon Brault quitte l'institution qui l'a mis au monde professionnellement pour le panthéon, voire le paradis des arts: le Conseil des arts du Canada, société de la Couronne née en 1957, forte de 200 employés et d'un budget de 180 millions.

À partir du 26 juin, Simon Brault en deviendra le premier directeur francophone en 17 ans, le dernier étant Roch Carrier, ce qui n'est pas peu dire.

Heureusement pour lui, Brault connaît bien les habitudes de la maison puisqu'il a siégé comme VP au conseil d'administration pendant des années et même comme président intérimaire en 2008, lors de la démission-surprise de Karen Kain.

Sa nomination est une bonne nouvelle pour la scène culturelle québécoise. Pas parce que Brault va tout faire pour favoriser les artistes québécois, ce qui serait mal vu et peu judicieux politiquement. C'est une bonne nouvelle parce que le Québec a besoin de tous les alliés qu'il peut trouver à Ottawa.

Simon Brault est assurément un allié, tout comme l'est Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, qui le remplace à la vice-présidence du CAC.

Deux Montréalais influents au sommet de la pyramide des arts canadiens, c'est toujours utile et peut-être même porteur de changements. Mais ne nous emballons pas trop vite.

Si Simon Brault a été nommé à la direction du Conseil des arts, c'est parce qu'il a la confiance des conservateurs. Par conséquent, il ne fera rien pour décevoir ou trahir cette confiance.

On en a eu un avant-goût hier dans une entrevue accordée à mon collègue Mario Cloutier. Simon Brault s'est porté à la défense des conservateurs en affirmant que leur gouvernement est le seul depuis 15 ans à avoir augmenté le budget du Conseil des arts. C'est vrai. À leur arrivée au pouvoir, les conservateurs ont augmenté le budget du CAC de 30 millions. Mais depuis 2008, le budget n'a pas bougé d'un cent.

Au moins, il n'a pas été réduit, ce qui est louable. Ce qui l'est moins, c'est cette nouvelle directive destinée à baisser de 10% la subvention des plus importantes et anciennes compagnies de théâtre du pays pour financer de jeunes compagnies dans une manoeuvre douteuse qui affame les uns pour nourrir les autres et ouvre la voie à un arbitraire dangereux.

Chez les conservateurs, l'argent est une chose, la façon de le distribuer, une autre. Or, c'est sur ce point que leur bilan n'est pas des plus reluisants. Trop souvent, sous les conservateurs, le financement des arts s'est mué en système de récompenses et de punitions. On vous aime, on vous finance. On ne vous aime pas, on vous enlève votre subvention.

C'est arrivé en 2011 au SummerWorks Festival de Toronto, qui présentait cette année-là la pièce Homegrown, inspiré du complot ourdi par 18 terroristes néo-canadiens. Sous prétexte qu'aborder un tel sujet, c'était glorifier le terrorisme, le festival a perdu sa subvention de 48 000$.

L'année suivante, la subvention a été rétablie, mais, comme l'a souligné le dramaturge Michael Healey, «on ne sait pas si le gouvernement voulait ainsi récompenser le festival de ne pas avoir programmé une nouvelle pièce sur le terrorisme ou s'il avait compris qu'on ne peut pas isoler un événement culturel de cette façon sans qu'il y ait des répercussions dans tout le milieu».

Michael Healey sait de quoi il parle. Auteur en résidence au Tarragon Theatre de Toronto pendant une décennie, il a heurté le mur de l'autocensure en 2012. Cette année-là, par peur de perdre sa subvention, le théâtre a refusé de produire sa nouvelle pièce Proud dont le personnage principal était modelé sur Stephen Harper.

Des histoires comme celles-là ne sont pas des cas isolés. Et s'il est vrai que, depuis un an ou deux, les choses se sont améliorées et que le gouvernement conservateur se fait moins contrôlant artistiquement, le risque demeure entier.

Il y a quelques mois, j'ai été témoin d'une discussion virulente entre un représentant du Conseil des arts du Canada et un artiste en vue à qui on demandait de modifier son oeuvre pour qu'elle soit moins offensante. Hurlant à la censure, l'artiste a menacé de retirer son oeuvre du projet. Il a finalement obtenu gain de cause, mais cette discussion n'aurait jamais dû avoir lieu. Espérons que de telles ingérences ne se produiront pas sous la direction de Simon Brault. C'est la grâce qu'on lui souhaite. À lui et à tous les artistes du pays.