Demain soir, ils vont dérouler le tapis rouge de 900 pieds carrés sur le boulevard Saint-Laurent, braquer les projecteurs de 300 000 watts sur la façade du Monument-National et tenter de recréer la fébrilité d'un soir d'Oscars sous le ciel bas et la neige gris souris. Les acteurs vont se mettre sur leur trente-six, les réalisateurs vont abandonner leurs tuques au vestiaire, les producteurs vont sortir leurs noeuds papillon. Et tout ce beau monde va se retrouver au petit écran demain soir au gala des Jutra pour vivre ce que les sceptiques ne manqueront pas de décrire comme une grande fiction: celle d'un cinéma québécois en santé, désiré, acclamé et triomphant.

Moi aussi, je vais regarder le gala, mais sans scepticisme ni lamentations, convaincue que la bouderie qu'a vécue le cinéma québécois cette année peut n'être que passagère. Je l'espère de tout coeur, sachant qu'il suffirait de trois ou quatre films rassembleurs, des films grand public comme Louis Cyr ou Incendies, intelligents, bien faits et captivants, pour que l'équilibre soit rétabli et que nos parts de marché croissent l'année prochaine. Sachant aussi que, s'il s'agit d'une crise plus profonde et peut-être irréversible, alors nous sommes loin d'être les seuls.

Partout dans le monde, le cinéma et les cinématographies en arrachent, cannibalisés par la télé, internet, Netflix et tutti quanti. Encore qu'à ce sujet, une précision importante s'impose: ce n'est pas tant le cinéma qui en arrache. Le cinéma, on le regarde maintenant partout et tout le temps. Le cinéma, en somme, va bien. Ce qu'on boude, délaisse et abandonne, c'est la salle de cinéma.

Quant au cinéma québécois, si j'avais un seul souhait à formuler, ce serait qu'on se penche collectivement, sans jugement ni a priori, sur le cinéma qu'on choisit de faire, sur les histoires qu'on veut raconter et sur la vision du monde qu'on veut communiquer.

C'est bien beau, les rapports sur les parts de marché, mais il serait utile de pousser la réflexion plus loin et de s'interroger sur l'essence même de notre cinéma. Que disent nos films? Que veulent-ils dire? Pourquoi sont-ils parfois si tristes et désespérés? Pourquoi finissent-ils si souvent par la mort ou l'enfermement du héros? Pourquoi les fins lumineuses sont-elles si rares? Sommes-nous si malheureux dans notre petit pays qui n'en est pas un? Ou est-ce juste pour rire que nous pleurons à l'écran?

J'ai longtemps pensé qu'un film était le reflet, voire la représentation, de la réalité. Mais c'est faux. Un film, c'est avant tout une interprétation de la réalité. C'est ce qu'affirme Christian Poirier, chercheur à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui, en 2004, dans le premier tome du livre Le cinéma québécois à la recherche d'une identité, s'est penché sur la question de l'imaginaire filmique, c'est-à-dire sur le sens des images au cinéma et sur le portrait qu'elles tracent de notre société.

La recherche de Poirier portait sur le cinéma québécois depuis ses débuts jusqu'à la fin du siècle dernier et révélait chez nos cinéastes une quête identitaire quasi systématique, oscillant entre deux pôles: l'empêchement et l'éclatement ou alors l'enchantement et l'accomplissement. Poirier aurait bien aimé poursuivre son analyse avec les films québécois des dix dernières années, mais il n'a pas pu, faute de temps et de fonds.

Or, il me semble que le moment est plus qu'opportun pour reprendre cette recherche et l'actualiser. Quelles images de la société québécoise nos cinéastes proposent-ils? Pourquoi l'avenir semble-t-il si noir et bouché? Est-ce politique, historique? Est-ce parce que les films québécois sont majoritairement écrits et réalisés par des mâles blancs nourris au petit-lait du pessimisme?

Autant de questions qui, à mon avis, mériteraient qu'on s'y attarde. Pas pour mépriser, dénigrer ou étouffer notre cinéma. Au contraire. Pour mieux le comprendre et l'aimer. Mais surtout pour qu'il reste bien en vie et devienne tout, sauf une fiction.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

De la culture (en campagne électorale). À ce sujet, lire Carole Fréchette sur le site du Conseil québécois du théâtre. Si elle était ministre de la Culture, que ferait-elle? «Je décréterais la tenue sur-le-champ de Journées sans culture, journées où toutes les activités et manifestations culturelles seraient absolument interdites.» La suite vaut vraiment le détour. (www.cqt.ca)

ON EN A TROP PARLÉ

De Mick Jagger et du suicide de L'Wren Scott qui, dans la plupart des médias, n'avait d'autre titre que celui de blonde du Rolling Stone. Dans les faits, L'Wren Scott était une designer très connue dans le milieu de la mode à New York, Paris et Londres. Même qu'elle avait une existence propre avant de rencontrer Jagger.