J'ai une amie scénariste qui dit que le cinéma, c'est comme la bouffe. Elle croit que le goût du cinéma est un goût qui s'acquiert, qui se développe et qui se raffine avec le temps et l'expérience. On commence par manger du pâté chinois, mais si on est le moindrement curieux et aventureux, on va finir un jour par aimer manger de l'ours ou de l'oursin, croit-elle.

Je pense que mon amie a en partie raison. En partie seulement. Parce que la bouffe aura toujours préséance sur la culture. Surtout par les temps qui courent alors la culture est devenue la dernière frontière, pour ne pas dire la dernière affaire, dont on se préoccupe, au privé comme au collectif.

La bouffe, pendant ce temps-là, fait des bonds spectaculaires au sein de la société. Les chefs sont devenus des stars, aussi capricieux et caractériels que des actrices, aussi connus et adulés que des top-modèles.

L'espace médiatique occupé par la nourriture, ses produits, ses restos, ses recettes, ses chefs, ses émissions de télé, est en pleine expansion. Quant à son aspect le plus créatif - la gastronomie -, c'est désormais pour le public une source inépuisable d'intérêt et de fascination.

Maintenant, faites le test: remplacez gastronomie québécoise par cinéma québécois. Remplacez la cuisine de Martin Picard par les films de Denis Côté et que se passe-t-il?

Subitement, quand il s'agit d'aller goûter aux nouvelles saveurs d'un cinéaste pourtant primé dans le monde entier, on remarque une baisse de pression, une chute d'intérêt, une sorte de refroidissement de l'ardeur.

Autant on brûle d'impatience d'aller à la cabane à sucre de Martin Picard, autant on se dit que le film de Denis Côté peut attendre, qu'on ira le voir un jour jusqu'à ce que ce jour devienne une date de péremption.

On réserve six mois à l'avance une table à la cabane à sucre de Picard, mais on fait rarement, pour ne pas dire jamais, la file pour un film de Denis Côté.

Et ça se comprend. Déguster un délicieux morceau de foie gras à la cabane à sucre du Pied de Cochon est facile, agréable, rassurant, toutes choses que ne sont pas les films de Denis Côté, qui sont pourtant tout aussi nourrissants, mais d'une autre façon.

Tout cela pour dire quoi? Que tous les cinéastes québécois, pas seulement Denis Côté, doivent travailler fort pour séduire le public québécois. Ce qui ne veut pas dire que cette rencontre entre les Québécois et leur cinématographie est un pari insensé ou une mission impossible. Cette rencontre a déjà eu lieu et aura lieu à nouveau.

En attendant, la question était lundi au coeur d'un débat organisé par les Rendez-vous du cinéma québécois sous le titre «Qu'est-ce qu'un film québécois rentable?».

D'entrée de jeu, tous les participants ont déclaré qu'il s'agissait d'une fausse question. Bien d'accord avec eux.

«Aucun cinéma national dans le monde n'est rentable, a statué Catherine Loumède de la SODEC. Il n'y a qu'un seul cinéma qui soit rentable: le cinéma américain.»

La dame avait raison et on pouvait enfin se pencher sur la vraie question: la baisse de popularité des films québécois en 2012.

Comment expliquer ce rendez-vous manqué? Est-ce la faute des cinéastes qui ont manqué de talent? La faute du public qui a manqué de discernement?

À force de chercher, on a fini par cerner plusieurs sources du problème.

D'abord, les impératifs économiques des propriétaires de salles qui ne peuvent plus se payer le luxe de laisser à l'affiche des films qui ne rapportent pas. Plusieurs films québécois qui marchaient moyennement et dont on prolongeait autrefois la vie ont donc été prématurément retirés des écrans pour faire la place aux blockbusters américains payants. Problème de salles et d'écrans, donc.

Problèmes de diversité également. Pour garder le public dans le giron du cinéma québécois, il faut lui offrir de la diversité.

Or, tous les films lancés au cours des huit derniers mois étaient des films sombres, glauques et angoissés. Il a fallu attendre à la mi-décembre pour Les pee-wee 3D, le premier feel good movie québécois dans une mer de feel bad movies.

Dernier problème: les scénarios des films québécois. Ce n'est pas qu'ils soient mauvais. C'est qu'ils passent à l'étape de la production trop vite alors qu'ils ne sont pas prêts et auraient besoin de trois ou quatre réécritures. En même temps, ce n'est pas toujours la faute des scénaristes. Combien d'entre eux se font dire par leur producteur: «Dépêche-toi de finir parce que pendant que toi, t'écris, moi, je ne fais pas d'argent» ?

Les raisons qui expliquent la baisse d'enthousiasme passagère des Québécois pour leur cinéma sont nombreuses.

Mais au bout du compte, à la fin de la journée, une vérité tranche sur les autres. Même si la recette n'existe pas, un bon film est un bon film. Un bon film réussira toujours à rencontrer son public, peu importe si l'oeuvre est difficile, sombre ou exigeante.

Si des films comme Incendies ou Monsieur Lazhar ont marché si fort auprès des Québécois, c'est que c'était de bons films, réussis sur toute la ligne.

Un bon film transcende les genres, surmonte les obstacles et suscite l'adhésion. Et quand ce plat parfait arrive dans notre assiette, laissez-moi vous dire que c'est meilleur que du foie gras.