Au matin du dernier jour, devant l'hôtel de ville maudit de Mascouche, le blanc éclatant de sa chemise tranchant sur son complet noir, François Legault a été catégorique: il est en politique pour les 10 prochaines années. Sa femme Isabelle, qui a répété inlassablement aux médias que François a été là quand elle a eu besoin de lui et que maintenant, c'est à son tour, a fait oui de la tête en se gardant bien de compter les jours jusqu'en 2022.

Mais mardi matin, c'est seul à bord d'une Toyota noire de la Sûreté du Québec (SQ) que François Legault s'est présenté pour voter à l'école Amédée-Marsan, dans une rue endormie de l'Assomption, où les électeurs arrivaient au compte-gouttes.

«Voilà, c'est fait!», a-t-il lancé en glissant son bulletin dans l'urne. Le ton était celui du devoir accompli, mais le regard, celui de la résignation. Pour la première fois depuis trois jours, Legault semblait en perte d'énergie.

Plus tard, attablé au resto le Château, au centre-ville de l'Assomption, il évoquait d'une voix éteinte la victoire devant des candidats de la Coalition avenir Québec (CAQ), dont le Dr Gaétan Barrette, qui l'écoutaient le caquet bas.

Pourtant, lundi, dans son ultime virée baptisée le «450 World Tour», aucun signe de résignation ne se lisait sur son visage souriant et décontracté. Le petit gars de Sainte-Anne-de-Bellevue, qui a grandi dans la pauvreté avant de devenir millionnaire à 40 ans, est un coriace, à l'énergie débordante, et excelle dans les bains de foule même quand la foule est absente ou trop occupée à manger sa poutine.

Partout où il est passé dans la dernière ligne droite de la campagne, François Legault a manifesté le même naturel chaleureux et engageant, embrassant les madames ravies de constater qu'il est «simple, humain et pas snob», taquinant les bébés, encourageant les enfants à devenir entrepreneur et parlant même aux vaches. Manque de chance, celle de la ferme Marsyl à Mirabel ne voulait rien savoir de lui. Ça doit être une vache libérale, a-t-il ironisé.

Sur cette ultime route pavée de casse-croûte graisseux, de vastes étendues de béton ou de blé d'Inde, de comptoirs de crème glacée molle et de clubs de golf pour cols bleus en bermudas, il n'a cessé de marteler son message de changement, avec la même conviction.

À ses côtés, Isabelle Brais, sa femme depuis 20 ans, est la parfaite antithèse de Michelle Dion à qui, pourtant, elle ressemble physiquement. Vive, allumée, un brin délinquante, en robe Marie St-Pierre ou Christian Chenail, elle s'assoit sur une marchette au bout d'une tablée de vieux messieurs pour jaser, vole un appareil photo et s'improvise photographe, quand elle ne s'empare pas d'un micro qui traîne pour demander au chef s'il compte suivre des cours de cuisine.

À deux, ils forment un couple enjoué et soudé qui contredit l'image sexiste qui a plombé Legault au début de la campagne. «Sexiste, moi? s'est-il écrié le dernier soir au dîner. Si c'était le cas, ça ferait longtemps qu'Isabelle m'aurait mis dehors.»

Dans les dernières heures, à Terrebonne et à Laval, au milieu des familles agglutinées qui voulaient être prises en photo avec lui, la victoire semblait à portée de main.

À l'Épiphanie, paradis du clonage de bungalows, dans une rue d'une symétrie désespérante, un ex-libéral s'est souvenu que Legault avait déjà fait du porte-à-porte dans cette même rue, mais l'hiver à -20 degrés. Cette fois, il faisait une chaleur d'enfer, et le porte-à-porte a duré deux maisons et demie. Mais le chef de la CAQ est reparti avec le vote de l'ex-libéral et celui de Thérèse et Isabelle, ses voisines, femmes de ménage.

À Mirabel, sur le perron d'une laiterie aux allures d'hôtel quatre étoiles, Marcel Fournier a dit que la main chanceuse attendait Legault avec impatience. Péquiste depuis 1976, il avait serré la main de René Lévesque et voulait serrer celle de son nouveau héros. La poignée de main a eu lieu, mais pour la chance, il faudra repasser.

Mais c'est au golf UFO de Fabre, entouré de Jacques Duchesneau et de Dominique Anglade, que le sort de François Legault s'est peut-être scellé. Au terrain de pratique, son premier coup de plus de 230 verges a impressionné la galerie. Les trois autres coups l'ont fait rire. Une scène à l'image de sa campagne.

Lundi matin, pour François Legault, la campagne avait été au-delà de toutes ses espérances. Finalement, ses espérances étaient plus modestes qu'il n'a osé l'avouer.