Si la tendance se maintient, le 4 septembre, le Québec élira pour la première fois de son histoire une femme au poste de premier ministre. Avec un peu de chance, Pauline Marois sera majoritaire, ou alors minoritaire.

Mais, majoritaire ou minoritaire, un fait restera indéniablement le même: après le Chili, la Finlande, l'Allemagne, les Philippines et une quarantaine d'autres pays dans le monde, mais surtout après Terre-Neuve, le Nunavut, l'Alberta et la Colombie-Britannique, le Québec fera enfin confiance à une femme. Une fois n'est pas coutume.

Évidemment, Pauline ne sera pas élue parce qu'elle est une femme et encore moins parce qu'elle est souverainiste, mais parce qu'elle semble être la seule option pour ceux qui en ont soupé du gouvernement libéral, ou qui n'ont pas envie du changement ou de la chicane que propose François Legault.

Il reste qu'être cette femme qui, pour la première fois, va en quelque sorte marcher sur notre lune locale, ce n'est pas rien. C'est un petit pas pour l'humanité, mais un grand pas pour l'égalité des femmes au Québec.

Les femmes d'ici, et tout particulièrement celles qui se sont battues âprement pour accéder à une certaine forme de pouvoir, devraient être ravies et se réjouir haut et fort de la victoire anticipée de Pauline, qu'elles soient souverainistes, fédéralistes, gauchistes, centristes, autonomistes ou rien du tout.

Pourtant, depuis le début de la campagne, leur silence est assourdissant. Nulle part n'ai-je entendu ou vu une femme publique s'enthousiasmer à l'idée qu'une femme gouverne le Québec, ni lu un article à ce sujet. J'ai pourtant en tête une foule de noms de femmes issues du monde culturel, médiatique, artistique, des femmes qui déplacent de l'air, qui brassent des affaires, qui ont du pouvoir et de la crédibilité, des femmes qui se sont faites elles-mêmes avant de s'imposer dans leur domaine, des femmes qui sont le symbole même d'une émancipation visible et concrète comme Fabienne Larouche, Marie-France Bazzo, Julie Snyder, Denise Robert, Denise Filiatrault, Janette Bertrand, Lorraine Pintal, Denise Bombardier, Marie Laberge, pour ne citer que les noms les plus évidents. Où sont-elles? Que pensent-elles? Pourquoi ne manifestent-elles pas le moindre frémissement de fierté, la moindre parcelle de solidarité?

Pourquoi aucune femme ne s'est-elle portée à la défense de Pauline au lendemain des débats alors que la vaste majorité des commentateurs politiques lui sont tombés sur la tomate sous prétexte qu'elle avait gaffé deux fois dans la même journée, comme si ses adversaires, eux, n'avaient jamais gaffé de leur vie?

Pourquoi, quand Pauline a fait la couverture de L'actualité, une question clignotait-elle en grosses lettres sous sa photo: «A-t-elle l'étoffe d'un premier ministre?», question que l'on n'aurait jamais osé imprimer si un futur premier ministre avait été en couverture?

Pourquoi les femmes qui aspirent au pouvoir politique partent-elles toujours avec un déficit de crédibilité? Pourquoi sont-elles obligées de nier leur identité de femmes en la cachant sous un uniforme de banquier?

D'aucuns clameront sans doute que le genre n'a rien à voir dans l'histoire, et que s'émouvoir de l'élection d'une femme au poste de premier ministre, c'est du sexisme à l'envers. Selon eux, les femmes sont rendues plus loin que ça et n'ont plus besoin de nos tapes dans le dos ni de notre bienveillance. Insister sur leur genre plutôt que sur leurs idées relève, selon eux, d'un mépris et d'un dénigrement parfaitement paternalistes.

Je suis prête à partager cette position, je la seconde même, mais pas maintenant. Un jour, lorsqu'il y aura eu une, deux ou trois femmes qui auront été élues à la tête du gouvernement du Québec ou même du gouvernement du Canada et que les femmes auront une longue expérience du pouvoir, alors là, je promets de hausser les épaules et de clamer qu'un homme, une femme, une chèvre ou un poisson rouge, ce n'est pas ça qui compte: ce sont les idées, les valeurs, la compétence.

En attendant, peut-on marquer le coup, peut-on souligner l'exploit, peut-on savourer le précédent?

Si la tendance se maintient, le 4 septembre, le Québec, pour la première fois dans son histoire, va élire une femme à la tête de son gouvernement. Ce jour-là, Pauline Marois va prendre le pouvoir. Espérons que ce sera comme une seule femme et non comme une femme seule, prise pour nier qui elle est.