Le nouveau logo de Montréal, métropole culturelle est rose, rose, rose. Et lors de son lancement, la semaine derrière, devant la mine réjouie du maire de Montréal, du ministre des Finances, Raymond Bachand, et de la ministre de la Culture et des Communications, Christine St-Pierre, la tentation était forte de faire de mauvaises blagues sur les lunettes roses de tout ce beau monde. Montréal en rose? Vraiment?

Difficile, ces jours-ci, de voir Montréal autrement qu'en noir ou en gris souris, avec ses scandales administratifs, ses déficits structurels, ses artères paralysées par d'interminables chantiers, ses ponts qui menacent de s'écrouler et la morosité généralisée dont ne cessent de faire état les observateurs de la scène municipale.

Pas besoin de le répéter: Montréal a connu des jours meilleurs. Pourtant, s'il y a un endroit où cela va relativement bien, sinon mieux que jamais, c'est en culture. Lentement mais sûrement, la métropole culturelle imaginée lors du Sommet culturel de 2007, qui avait réuni tous les ordres de gouvernement ainsi qu'une brochette d'intervenants d'horizons différents, est en train de déployer ses ailes et de devenir une réalité.

L'an dernier, à pareille date, je m'étais moquée d'une brochure publicitaire à la gloire de Montréal, que le maire avait qualifiée de document indispensable et de preuve irréfutable de la vitalité culturelle montréalaise. La moquerie visait surtout la poudre aux yeux lancée par cette brochure, qui ne nous apprenait rien que nous ne savions déjà et qui consignait des manifestations qui, pour la plupart, existaient bien avant le Sommet culturel.

La brochure de cette année relate les mêmes évidences. Mais ce qui m'a frappée, c'est la constance et la continuité dont elle témoigne. L'an dernier, les champions montréalais avaient pour noms Dany Laferrière, Yannick Nézet-Séguin, Wajdi Mouawad et Xavier Dolan. Cette année, ceux qui ont fait rayonner le nom de Montréal à l'étranger sont Denis Villeneuve, Arcade Fire, Denis Marleau, Moment Factory ou Projet GSM, pionnier du spectacle multimédia qui a conçu les installations du Musée national de Singapour.

Ce que la brochure rose de 2010 confirme, c'est que, bon an, mal an, Montréal réussit à produire des créateurs de premier plan qui s'affirment sur la scène internationale. Autrement dit, nos victoires internationales ne sont plus accidentelles. Elles s'inscrivent dans la durée et dans une réelle continuité.

Évidemment, le fait que Montréal s'empresse de récupérer tous ceux qui remportent un prix ou un contrat de plusieurs millions à l'étranger exprime avant tout son besoin désespéré et un brin provincial de briller aux yeux des autres. Je doute qu'une ville comme Austin, au Texas, en fasse autant, même si un de ses habitants (Terrence Malick) vient de remporter la Palme d'or à Cannes. Mais Montréal n'est ni Austin ni New York, Paris ou L.A. Il va chercher ses gratifications là où il le peut, et tant mieux s'il trouve des créateurs à travers qui se péter les bretelles.

Autre phénomène notable: l'accumulation de lieux culturels dans une ville qui, pour sa taille et sa population, peut rivaliser avec bien des métropoles. Des maisons de la culture jusqu'aux nombreux théâtres en passant par les musées, la Grande Bibliothèque, le laboratoire techno de la SAT, le Quartier des spectacles et la nouvelle Adresse symphonique, Montréal est de plus en plus «équipé pour veiller tard».

Mais c'est dans la marge, dans le champ d'une recherche pure, qu'il se distingue vraiment. Connaissez-vous beaucoup de villes prêtes à offrir un toit aux artisans de la musique nouvelle, cette mal-aimée, objet de raillerie des populistes qui n'hésitent pas à la qualifier de pollution sonore et dont les adeptes sont peu nombreux? Eh bien, cette année, grâce à une subvention du ministère de la Culture, Montréal a offert à 25 organismes spécialisés en musique nouvelle un magnifique toit: celui de l'ancienne bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis. C'est ici qu'un carrefour des musiques nouvelles, nommé Le Vivier en souvenir du compositeur Claude Vivier, est en train de voir le jour après des années d'errance et de conditions d'existence précaire auxquelles étaient soumis ses créateurs.

Une ville qui est capable de reconnaître l'importance d'un art aussi pointu et de lui témoigner sa confiance et son appui est à coup sûr une vraie ville de culture.

En 2007, lors du Sommet culturel, Montréal s'était donné 10 ans pour accéder pleinement au statut de métropole culturelle. L'objectif semble d'autant plus accessible que, au comité de pilotage mené par Manuela Goya, siègent les ministres fédéraux Christian Paradis et James Moore, bien placés pour l'aider à se réaliser. Un jour, la culture sauvera peut-être Montréal et le sortira du marasme économique, des scandales et des ponts qui s'effritent. En attendant, Montréal voit la vie en rose et, pour une fois, on n'a pas envie de le contredire.