Les premières dix minutes des Enfants du palmarès, un documentaire sur l'enthousiasme des Québécois pour l'école privée, sont franchement insupportables, pour ne pas dire indécentes.

On y voit et on y entend des parents se plaindre du stress, de l'anxiété et de l'angoisse que leurs «pôvres» enfants, petits rois nantis et bien nourris, vivent lors des examens d'admission aux grandes écoles privées. C'est d'ailleurs après avoir vécu ce stress avec son fils Laurent que la réalisatrice Marie-Josée Cardinal, fille de l'ex-ministre de l'Éducation Jean-Guy Cardinal, a décidé d'explorer le sujet. N'empêche. Voir tous ces gens de la petite bourgeoisie décapante ou de la banlieue prospère prendre des airs de victimes, et traiter d'inhumain un système qui invite à l'effort et au dépassement, est affligeant.

 

Pourtant, Les enfants du palmarès, qui sera diffusé demain à 19h à Canal D, est un film important. Parce qu'il décrit magnifiquement bien l'état des choses dans le Québec d'aujourd'hui. Son constat est simple et brutal: les Québécois qui en ont les moyens, et même ceux qui ne les ont pas, ne jurent plus que par l'école privée, qui est devenue un symbole de statut social, un gage de réussite, sinon le fantasme collectif d'un avenir radieux assuré.

Inversement, plus l'école privée prend du galon, plus l'école publique est boudée, dépeuplée et perçue comme usine sale, pauvre et pestiférée qui fabrique des décrocheurs et des drogués à la chaîne. Or, le film de Cardinal a le mérite de poser une question toute simple: comment en sommes-nous arrivés à cette vision manichéenne qui ne tient pas toujours compte de la réalité? Oui, c'est vrai que l'école publique a de moins en moins de moyens alors que l'école privée, qui encaisse aussi bien les subventions du gouvernement (60%) que le fric des parents (40%), nage dans le luxe avec ses gymnases rutilants, ses locaux vastes et éclairés, ses ordinateurs tout neufs.

Il n'en demeure pas moins que ces différences matérielles ne font pas de meilleurs avocats, architectes ou médecins. Selon des statistiques obtenues par la réalisatrice, les étudiants qui réussissent le mieux à l'université proviennent à parts égales du privé et du public.

Alors, la question demeure: comment se fait-il que l'école publique ait si mauvaise réputation et que l'école privée soit si convoitée? La réalisatrice avance que le palmarès des écoles du magazine L'actualité est en partie responsable du déséquilibre. Peut-être, mais ce palmarès ne saurait à lui seul expliquer le phénomène de société. Il y a forcément autre chose. La prof d'une école alternative avance une hypothèse qui offre un début de réponse. Avec la société de consommation comme point d'ancrage, elle évoque «l'esprit de magasinage» qui a envahi toutes les sphères de la vie des Québécois. Surgit alors l'image de parents qui magasinent des écoles comme ils magasinent des marques. Comme ils ont peu d'enfants, ils veulent le meilleur pour eux. Et comme ils ont plus d'argent, ils magasinent les meilleures marques pour eux. Des marques comme Brébeuf ou Jean-Eudes sont ainsi perçues comme la Cadillac des écoles. Et tant mieux si l'admission y est difficile et sélective. Plus la marque est inaccessible, plus elle fait rêver ses clients.

Quant aux enfants dans cette histoire, passifs et ballottés par papa, mais surtout par maman qui pousse pour qu'ils réussissent à tout prix leur vie, ces enfants font figure d'écrans blancs sur lesquels leurs parents névrosés projettent leurs propres ambitions. D'ailleurs, si la plupart sont si stressés quand ils se tapent trois examens d'admission dans la même fin de semaine, ce n'est peut-être pas tant à cause des examens que des attentes stressantes de leurs parents. Le film se termine sur un ardent plaidoyer pour l'école publique, parfois carrément miraculeuse pour les enfants, allergiques à la performance à outrance du privé et qui ont la vie devant eux pour se rattraper. Ce plaidoyer est rafraîchissant à entendre. Il nous aide à relativiser les choses et surtout à nous libérer du navrant esprit de magasinage.