Je n'avais jamais lu un livre de «développement personnel». Mon expérience dans le domaine se résumait au film et au disque Jonathan Livingston le goéland que j'ai connus jeune adulte. J'avais une amie qui était folle dingue de cette histoire et elle connaissait les paroles de toutes les chansons. Au bout de deux mois, je me suis tanné de cette fable philosophico-symphonique et j'ai cessé de fréquenter cette amie. Je me demande d'ailleurs ce qu'elle est devenue. Sans doute est-elle devenue yogi quelque part en Inde.

Bref, cela fait des mois que je vois apparaître sur les palmarès des grandes librairies de nombreux livres issus «d'expériences de vie» écrits par des personnalités. 

Humoristes, comédiens, chanteurs, animateurs, blogueurs, hommes d'affaires, tous ces gens se transforment en guides spirituels prêts à nous prendre par la main pour nous aider à traverser la ligne de feu qui nous sépare du bonheur.

Curieux de voir le résultat, j'ai plongé tête première dans le plus récent livre du genre, celui de la chanteuse Ima, Merci la vie, #Liberté #Gratitude #Amour #Joie #Pardon. Vous l'aurez deviné, dans cette plaquette de 200 pages, Ima remercie la vie d'avoir été bonne avec elle et égrène les leçons qu'elle a apprises à travers quelques grands thèmes.

Le sujet le plus délicat est celui du pardon, car Ima nous apprend qu'elle a été victime d'agressions sexuelles de l'âge de 3 à 5 ans par un homme d'une quarantaine d'années. Celle qui a aujourd'hui 38 ans nous dit qu'elle a su lui dire pardon lors d'un séjour à Bali au cours duquel elle a effectué «une sorte de voyage cosmique» qui a permis à son âme de rencontrer celle de son agresseur.

Au sujet de la différence, Ima nous dit qu'elle a beaucoup souffert d'avoir été différente des autres lorsqu'elle était jeune. Avait-elle deux nombrils? Pesait-elle 325 lb? Non, rien de tout cela. Ima n'était pas aimée de ses camarades de classe car elle était trop jolie. De plus, comme ses gardiennes l'enfermaient dans sa chambre après l'école, Ima a passé une grande partie de son enfance isolée.

Il y a aussi un chapitre sur la singularité. Être originale, avoir une signature différente de celle des autres, cela est important pour Ima. C'est pourquoi elle raconte le drame qu'elle a vécu lors de son bal de fin d'études. Une camarade est venue lui demander de se laisser prendre en photo avec les quatre autres filles qui portaient la même robe qu'elle. Quoi? Ima n'avait pas une robe unique? Quel choc! La diplômée a pleuré toute la soirée dans les toilettes. En conclusion, elle dit que dans la vie, il faut savoir trouver «sa propre robe, avec sa couleur et sa spécificité irremplaçables». J'ajouterais à cela qu'il faut surtout éviter d'aller magasiner à la Plaza Saint-Hubert, là où sa mère avait acheté sa robe.

Ima, elle-même grande amatrice de livres de croissance personnelle, gratifie chacun de ses chapitres de citations provenant de Milan Kundera, Saint-Exupéry, Oprah Winfrey ou Bouddha. Elle nous dit que c'est important de voyager (elle est allée 28 fois en Italie, mais aussi en Espagne, en France, à Bali, en Angleterre, en Turquie, en Grèce, au Maroc, en Égypte, au Costa Rica, en Argentine, au Japon, sans compter trois expéditions à Compostelle, dont une avec une ampoule au talon). Elle finit toutefois par nous dire que le plus beau des voyages est celui que l'on fait à l'intérieur de soi.

Ima ne peut vivre sans un professeur de chant ou un coach de vie. Elle nous présente la dizaine de guides qui ont traversé sa vie. C'est d'ailleurs pendant une séance de «visualisation-manifestation» au cours de laquelle elle définissait une «réalité idéale» qu'elle a imaginé le réalisateur avec lequel elle voulait faire un disque. Sa demande a été entendue dans l'au-delà et, un mois plus tard, elle rencontrait Andy, un proche de Bono, avec lequel elle a fait quelques chansons et connu une brève aventure amoureuse.

Je n'ai rien contre les gens qui «font un travail sur eux-mêmes». Ils ont toute mon admiration. Je n'ai rien contre, non plus, ceux qui fournissent des outils solides et professionnels pour faire ce travail. Mais ne trouvez-vous pas qu'on a atteint le sommet de la montagne, qu'on est rendu au bout du chemin de Compostelle? Il y a dans cette offre excessive de guides de vie une exploitation de la notoriété de l'auteur (de plus en plus de ces auteurs ou conférenciers sont des vedettes), mais aussi de la naïveté des consommateurs.

Beaucoup de spécialistes dénoncent la banalité des discours qu'on nous offre dans ces bouquins qui paraissent par dizaines tous les mois. 

Ima nous apprend que «la vie est un mouvement perpétuel», que «la liberté n'est jamais acquise» et «qu'être amoureux donne des ailes». Avons-nous besoin de débourser 24,95 $ pour apprendre cela? Sommes-nous démunis à ce point?

Ce que ces auteurs connaissent bien, ce ne sont pas les «trucs» pour faire évoluer les gens, mais plutôt les exemples qui créent des connivences avec les lecteurs. Ces derniers ont l'impression qu'on leur parle. Et tout le monde aime qu'on lui parle.

Mais quelle véritable leçon les lecteurs tireront-ils de cela? À part se sentir moins seuls, ils n'auront rien d'autre à se mettre sous la dent. Vous me direz : c'est déjà ça. Mais quand ces personnes se retrouveront de nouveau isolées, sur quels outils pourront-elles compter? Sur qui pourront-elles réellement s'appuyer?

Sûrement pas sur Ima. Celle-ci sera sans doute en voyage quelque part autour du monde.

Merci la vie, d’Ima