Vous rappelez-vous avril 2016 ?

Bien des milliardaires et autres richissimes personnages, eux, s'en souviennent très bien.

Avril 2016, c'était la publication des Panama Papers, le fruit d'une enquête journalistique mondiale révélant de la fraude et de l'évitement fiscal d'une ampleur ahurissante et nommant des milliers de gens ultra-nantis cherchant à éviter de payer des impôts.

On a appelé cela les Panama Papers parce que le scandale a éclaté quand des tonnes de documents d'un bureau d'avocats de Panamá ont été transmis aux journalistes, révélant des stratagèmes légaux et pseudo-légaux hallucinants pour contourner à tout prix le fisc.

Avril 2016, c'est donc le mois où des milliers des personnes parmi les plus riches au monde - vedettes, sportifs, entrepreneurs, banquiers, voleurs et tutti quanti - ont vu leurs noms apparaître au grand jour dans la colonne « A essayé de tricher et de ne pas payer sa part ». De Lionel Messi à Silvio Berlusconi.

Depuis trois ans, les États où sont ces personnes et sociétés ont fait enquête et tenté de récupérer les milliards dus au Trésor public, donc aux contribuables qui, eux, paient leur dû et comptent sur cet argent pour financer leurs programmes sociaux.

Selon un récent article du journal Le Monde, qui a participé à l'enquête, l'équivalent d'environ 1,5 milliard de dollars a pu être repris par les autorités jusqu'à présent, dont environ 180 millions en France et 15 millions au Canada.

En outre, ici, cinq enquêtes criminelles sont en cours, mais aucune accusation n'a encore été portée et l'Agence du revenu du Canada a examiné 525 dossiers et procédé à 116 vérifications.

C'est peu et franchement décevant. Quinze millions alors que près de 900 Canadiens étaient identifiés dans les fameux documents ? Des pinottes...

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Comment ne pas hurler quand on apprend que pendant que nous versons une part substantielle de nos revenus en impôts, parce que c'est ainsi qu'on finance routes, hôpitaux, écoles et compagnie, les personnes les plus riches du monde, elles, n'en paient pratiquement pas ?

C'est odieux.

Pourtant, on en parle relativement peu au quotidien, mis à part quand des affaires comme les Panama Papers arrivent à la une des journaux.

Est-ce parce que les manoeuvres pour éviter le fisc sont tellement complexes qu'on perd le citoyen - et le journaliste - moyen en chemin dès le début de la moindre explication des processus ? Il est vrai que ce sont des labyrinthes légaux opaques.

Il y a quelques années, j'ai vu dans une exposition en France, à Arles, les photos de Paolo Woods et de Gabriele Galimberti, deux photographes italiens qui ont décidé d'essayer de nous expliquer les paradis fiscaux autrement : en nous montrant des images. Défi pas facile, puisque l'essence de la fuite de capital est d'être invisible.

Mais l'exercice, contenu dans une oeuvre entière appelée Les Paradis, et que l'on peut voir sur le web, fonctionne.

Voyez l'oeuvre Les Paradis sur le site de Institute (en anglais)

Les photos montrent autant des salles spectaculaires remplies uniquement de centaines de cases postales aux îles Caïmans - paradis fiscal où des milliers d'entreprises ont leur « adresse » - que des salles de coffres-forts à Singapour - encore là des caches à richesse - ou le modeste bureau du gouvernement du Delaware, État américain non taxé, donc un abri fiscal, où les sociétés peuvent s'enregistrer quasi jour et nuit en quelques minutes.

Aux éditions Écosociété, à Montréal, une maison qui se préoccupe de la question depuis plusieurs années, en publiant notamment les travaux du philosophe Alain Deneault, qui consacre sa vie à la dénonciation de l'évasion fiscale et autres abus des géants, on a choisi une autre approche pour vulgariser la question.

Écosociété publie en effet cette semaine une bande dessinée consacrée aux échappatoires fiscales.

Appelée Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner, le livre vulgarise avec humour à quel point pratiquement tout ce qui façonne notre quotidien, et qu'on accepte dans nos vies - de Fedex à Amazon, en passant par Liberté et Apple, mais aussi U2 et les Rolling Stones -, fait appel à l'évasion fiscale.

Même les Beatles sont nommés.

« Je ne voulais pas faire une BD pour les militants », explique l'auteur de la bande dessinée, François Samson-Dunlop, un Canadien qui vit actuellement en France et dit avoir accepté tout de go le projet de la maison d'édition quand il lui a été proposé.

« Le but, c'est de rendre la compréhension des enjeux accessible. »

IMAGE FOURNIE PAR ÉCOSOCIÉTÉ

Une planche de Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner

La trame narrative du livre est sympathique. C'est l'histoire d'un gars qui est choqué par la fuite fiscale et qui décide d'éliminer tous ceux qui en sont coupables de son train-train. Sauf qu'il se rend compte que toute sa vie est remplie de sociétés qui utilisent les abris fiscaux. Et plus il veut agir, plus il se rend compte qu'il est cerné.

Le message du livre, explique François Samson-Dunlop, c'est qu'individuellement, on ne peut pas grand-chose. La clé est l'action collective. « Seule la pression populaire peut provoquer des changements », explique l'ancien étudiant en journalisme à l'UQAM, qui a fièrement participé aux grèves de 2012, qui l'ont marqué, et qui travaille actuellement dans une université à Clermont-Ferrand. « Je voulais qu'on s'attache aux personnages de mon livre, mais encore plus aux idées. »

« Et ce que je veux aussi, c'est montrer que changer le monde peut être joyeux. »

Le lancement a lieu le 10 avril à la librairie Planète BD.

L'auteur sera ensuite au Salon du livre de Québec.

PHOTO CHRISTOPHE PINTO, FOURNIE PAR ÉCOSOCIÉTÉ

François Samson-Dunlop, auteur de Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner

IMAGE FOURNIE PAR ÉCOSOCIÉTÉ

Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner, de François Samson-Dunlop