Hier, j'ai publié un article sur la Saint-Valentin où j'expliquais, entre plusieurs données sur les dépenses des Canadiens pour cette fête, que les gens préféraient en majorité le sexe à un cadeau. Cela venait d'un sondage. Je trouvais cette donnée sympathique.

Est arrivé ce qui devait arriver : les lecteurs ont réagi, la plupart avec quelques messages remplis d'humour gentil. Et puis est arrivée une sorte de blague de mononcle vraiment déplacée. Un message totalement nul provenant d'un illustre inconnu, le genre qu'on a seulement le droit de dire en privé, à des gens qu'on connaît, si on tient vraiment à trouver encore ça drôle.

Recevoir une imbécillité comme celle-là, une fois de temps en temps, à l'âge que j'ai, dans l'emploi que j'ai, c'est loin d'être la fin du monde, même si je trouve cela parfois pénible.

Mais à répétition, quand on commence un nouveau poste ou lorsqu'on est dans une autre situation de vulnérabilité et que la blague sert, insidieusement, à établir un rapport de force, à déstabiliser, à démoraliser, à diminuer l'autre, c'est ce qu'on appelle du harcèlement sexuel. Et ce n'est certainement pas du flirt qui fait un velours ni de l'humour fin acceptable. La différence est claire.

Et ça, personne n'a à endurer ça. Et c'est la responsabilité de l'employeur, en vertu de toutes sortes de lois, de s'assurer que tout employé soit libre de travailler à l'abri de tels poisons.

C'est un avocat en droit du travail que je connais depuis un siècle, André Royer, qui me rappelait cela récemment alors qu'on discutait de harcèlement, notamment parce que l'affaire Ghomeshi est omniprésente dans l'actualité. (En plus du procès actuel, Ghomeshi a aussi été visé par un rapport accablant sur son ex-employeur, la CBC, où il a été démontré que la société avait failli à sa tâche de protéger ses employés adéquatement contre ce personnage et ses comportements déplacés dans le cadre professionnel.)

« Le problème, souvent, c'est l'accumulation », explique Me Royer, qui travaille chez Borden Ladner Gervais. « Et ce qui compte, c'est le point de vue de la victime, l'effet que ça a sur elle. »

Il n'y a pas de test de « personne normale » dans les cas de harcèlement. L'employeur a comme responsabilité de veiller sur le bien-être au travail de tous ses travailleurs avec leur bagage, leur sensibilité, leur histoire. La réponse « mais comment ça se fait donc que ça t'affecte autant », n'est pas valide.

Quand je suis arrivée sur le marché du travail, dans les années 80, les blagues sexistes, homophobes, racistes, même dans les milieux professionnels, n'étaient pas rares.

Sont-elles disparues des bureaux ?

Apparemment pas totalement.

L'affaire Aubut nous a rappelé que les propos et comportements déplacés dans des contextes inappropriés existent encore. Et que ce n'est pas tout le monde qui a réalisé qu'on était en 2016.

Au Québec, c'est la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité au travail, l'organisme qui a remplacé la défunte CSST, qui veille à l'application de la loi québécoise à l'égard du harcèlement, loi réformée en 2004 et pionnière au Canada à cet égard.

Au Québec, explique Me Anne-Marie Plouffe, dans un document de la commission, les salariés voient leur droit de travailler dans un milieu exempt de harcèlement bien protégé, ils disposent de recours pour garantir le respect de ce droit et les employeurs ont des obligations. « Non seulement doivent-ils prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement psychologique lorsqu'il est démontré, mais encore doivent-ils le prévenir ! »

Les deux grands scandales de la dernière année ont rappelé cette obligation aux employeurs. Mais « que doit-on faire si, comme dirigeant, on n'est pas au courant », me demandait récemment une cadre supérieure dans une grande entreprise montréalaise. « Comment créer une culture où les gens vont parler, vu le traitement des victimes ? »

Et c'est là que le bât blesse, confirme Me Royer. Les plaignants sont loin d'avoir la vie facile même une fois qu'ils ont osé dénoncer la situation insoutenable. Ces causes vont rarement en procès parce que, comme on le voit actuellement avec l'affaire Ghomeshi, le processus judiciaire devient une souffrance en soi.

« La réalité, m'a aussi confié la cadre montréalaise, c'est qu'à peu près tout le monde continue de se taire et que le procès en cours ne va pas améliorer les choses. »

Doit-on donc demander aux employés d'arrêter toute blague grivoise au bureau ? D'enlever toutes leurs photos de filles nues sur les murs mêmes du bureau le plus perdu dans la toundra ? (Oui !). Toute conversation qui pourrait dégénérer, tout contact autre que strictement professionnel ? Doit-on rendre tout bureau totalement puritain ?

Comment donc trace-t-on la ligne entre l'approprié rigolo et le déplacé dégueu ?

Peut-être en prenant bien soin d'écouter les employés qui se plaignent de comportements déplacés de la part de collègues, de gens qui relèvent d'eux ou de supérieurs. Le problème, il est là, il est dans les dynamiques entre les collègues.

Aussi, en diversifiant la composition sociodémographique des équipes, afin que la réalité de tout le monde soit plus aisément comprise. Une femme osera-t-elle dénoncer du harcèlement sexuel de la part d'un patron si ce sont tous des hommes qui semblent former un « boys club » ? Une personne issue d'une minorité visible parlera-t-elle aisément de racisme si elle est la seule dans tout le bureau ? Une lesbienne osera-t-elle dire qu'elle se sent jugée si elle a l'impression d'être une extra-terrestre à son étage ?

Reste ensuite aux employés d'avoir le courage de dénoncer, de prendre la parole pour demander que les comportements qui nous dérangent cessent.

C'est essentiel, pour nous faire tous avancer.