Elles ont de 30 à 66 ans. Elles sourient pour la plupart. Certaines rient à gorge déployée. Leur regard est parfois difficile à soutenir. Surtout quand l'oeil ne peut qu'aller vagabonder là où se joue tout le drame des photos. Sur ces cicatrices. Sur ces espaces de peau vides.

Ce sont les femmes photographiées par Phil Carpenter, ces êtres touchés par le cancer du sein qui ont été obligés de subir une ou deux mastectomies.

Photo: Phil Carpenter

Bernadette Leno, 34 ans. «La double mastectomie, c'est un choix que j'ai fait pour rester en santé, forte et confiante.»

Leurs poitrines n'ont plus rien des rêves gonflés des magazines à potins ou des films pornos. Elles sont asymétriques, traversées de coutures, reconstruites, plates. Elles ont des formes qui défient nos attentes, nous obligent, après quelques frissons et un certain malaise, à nous demander ce que l'on devient lorsqu'un symbole aussi puissant de la féminité est mutilé par la maladie, avant de réapparaître boiteux, émouvant.

Le photographe d'origine jamaïcaine, qui travaille au quotidien montréalais The Gazette, n'a pas décidé un jour, comme ça, de partir d'un bout à l'autre du pays et, pendant trois ans, de photographier des seins. Ou plutôt, l'absence de sein. C'est une amie et collègue, sur le point de devoir subir une seconde mastectomie, qui lui a demandé, comme ami, de garder un souvenir de son corps avant l'intervention et de la prendre après la chirurgie aussi. De là est partie l'idée de faire un reportage photo sur les mastectomies. Ce qui est aujourd'hui devenu un livre publié par la maison Fitzhenry&Whiteside.

Photo: Phil Carpenter

Feather Bryce, 40 ans, a perdu son premier sein à 23 ans.

Les photos des 50 femmes mises en vedette dans Breast Stories, des survivantes qui se sont volontairement approchées du projet en en entendant parler, sont magnifiques. Le graphisme de l'ouvrage aurait pu être pas mal plus moderne. Mais ce que l'on retient de l'exercice en ce mois d'octobre, mois de sensibilisation au cancer du sein, c'est surtout cette confrontation avec une réalité que l'on préfère éviter. On se retrouve sous la blouse, derrière le pull, en dessous du soutien-gorge, vide.

Utile, le livre? Oui, car lorsqu'une femme doit subir une mastectomie, elle peut voir des images des résultats de l'opération sur des sites médicaux froids et généralement sans visage. Mais des livres documentant la transformation des corps, il n'y en avait pas, croit Carpenter. Ses images montrent à quel point la diversité est au rendez-vous là comme partout ailleurs quand il est question du corps humain. Personne n'est pareil. Personne n'est normal ou anormal.

Utile aussi quand on sait qu'au Québec, une femme atteinte du cancer du sein sur quatre subira une mastectomie, une statistique toutefois moins élevée que dans les autres provinces et surtout qui varie selon l'éloignement. Plus on habite loin des centres hospitaliers qui offrent les traitements de radiothérapie, plus on opte pour l'ablation du sein. À Terre-Neuve-et-Labrador, 7 femmes atteintes du cancer sur 10 ont une mastectomie, soit 69%, contre 37% en Ontario et 26% au Québec.

«C'est quoi avec les seins qui nous rend fous?», demande Phil Carpenter lorsqu'on discute de la dernière controverse au sujet des campagnes de publicité pro-allaitement.

Oui, c'est quoi?

Cette semaine, la controverse suscitée par «Allaiter c'est glamour», campagne de promotion mettant en vedette la poitrine de Mahée Paiement (utilisée, doit-on le souligner, pour vendre exactement ce pour quoi elle existe et non des voitures ou de la bière), nous a montré à quel point le sujet est à la fois tabou et omniprésent.

«Il y a tellement d'intérêt dans la société pour les seins qu'on se demande: que reste-t-il quand il n'y en a plus?», demande le photographe.

Il reste des femmes de 30 à 66 ans parfois souriantes, parfois tristes, parfois riant à gorge déployée. Des femmes, encore.