L'accouchement est très médicalisé au Canada.

S'il y en a qui en doutent encore, qui aiment croire que les sages-femmes sont des féministes déchaînées ayant pris le contrôle des maternités, alliées avec leurs féroces comparses, les militantes pro-allaitement, évitez de lire le rapport que vient de publier l'Agence de la santé publique du Canada.

On y apprend que 98% des accouchements ont lieu à l'hôpital ou dans une clinique, que les médecins assistent 85% des accouchements contre 4,3% pour les sages-femmes et 4,7% pour les infirmières praticiennes, que 26% des accouchements sont des césariennes et que dans près de 45% des accouchements qui ne sont pas des césariennes planifiées, le travail est déclenché médicalement (et dans près de 40% des cas, il est accéléré médicalement). L'utilisation de médicaments pour provoquer les contractions est en outre présente dans les deux tiers des cas de césariennes pratiquées parce que l'accouchement normal n'aboutissait pas.

 

On pourrait aussi parler du fait que rendus à 6 mois, 85% des bébés ne sont plus allaités exclusivement. On pourrait causer de monitoring foetal et de la popularité des accouchements où les femmes sont couchées sur le dos - une position pas exactement optimale - et, pourquoi pas, du fait que près d'une femme sur cinq se fait raser avant d'accoucher, comme nos mères dans les années 50 et 60?

Un petit lavement avec ça?

Aujourd'hui, nous sommes loin de l'époque où les médecins fumaient dans leur cabinet, où les femmes accouchaient sans leur mari, souvent endormies, et où on enlevait les bébés du sein de leur mère pour leur donner une bouteille de lait artificiel considéré à cette époque comme une amélioration du monde moderne.

Mais quand on regarde les données de cette étude, on constate qu'on est loin aussi de l'univers dont rêvait la féministe américaine Naomi Wolfe dans Misconceptions, ce livre où elle parlait avec beaucoup de justesse et de réalisme de la nécessité d'offrir plus de possibilités d'accouchements aux mères, notamment une voie du milieu entre accouchement hyper médicalisé et hyper granole.

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Le New York Times faisait état, en novembre dernier, d'une nouvelle tendance dans la métropole américaine: l'accouchement à domicile. Une tendance portée non pas par une vague de néo-hippies prêtes à manger le placenta pendant que tout le monde tout nu tourne une vidéo, mais plutôt par des jeunes professionnelles, de type actrices, artistes et autres bo-bo de la métropole, qui ont décidé de tourner le dos aux hôpitaux. Dans l'article, on faisait état de l'influence d'un film, The Business of Being Born, un documentaire qui raconte l'accouchement à la maison d'une ancienne animatrice de télé et qui, sans militer pour cette option, montre que cela fait partie des possibilités réalistes qu'une femme enceinte peut considérer si elle le veut.

Depuis, Ricki Lake, la productrice du film, qui est aussi celle que l'on suit, a été visée par quelques associations médicales américaines dans leurs campagnes en faveur de l'accouchement à l'hôpital.

Mme Lake s'est défendue en disant qu'elle était d'abord et avant tout «pro-choix», donc en faveur de la liberté de choisir le type d'accouchement que l'on désire.

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Ce que montre l'étude de l'Agence de la santé publique, c'est qu'il n'y a pas grand diversité côté accouchement au Canada. L'hôpital, le médecin, le pitocin... Et la question qu'on peut se poser, en regardant cela, c'est justement, est-ce que nous avons la possibilité de choisir?

Oui, les femmes, dans l'étude, disent qu'elles sont, de façon générale, assez satisfaites de leur expérience d'accouchement. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de nous demander s'il doit être aussi médicalisé.

Car l'est-il parce que toutes les femmes y tiennent ou parce qu'elles n'ont pas le choix devant la rareté des places en maison de naissance? Ou est-ce parce que le système, depuis les années 50, renouvelé parfois au compte-gouttes par quelques institutions un peu plus progressistes, mais dans le fond foncièrement conservateur, auto-justifie sa médicalisation et la présente comme inévitable?

Explique-t-on réellement aux futures mères dans quelles mécaniques elles embarquent en accouchant à l'hôpital?

Nous dit-on à quel point la médicalisation de l'accouchement trace sa propre voie vers l'accouchement typique décrit dans le rapport de l'agence? Sait-on à quel point induction, pitocin, épidurales, césariennes et compagnie sont partie d'une cascade d'interventions qui découlent les unes des autres?

Pas besoin d'avoir envie d'accoucher dans une grange pour avoir aussi envie de demander aux médecins: «Peut-on mettre la pédale douce?»

De plus, notre système de santé est surchargé. Il manque d'infirmières, de médecins et de spécialistes, notamment d'obstétriciens-gynécologues. Il manque de personnel pour faire fonctionner les salles d'opération. Il manque d'argent, point.

On a donc toutes les raisons de se questionner sur la surmédicalisation de l'accouchement, notamment sur le taux de césariennes.

Il y a toujours eu une volonté de la part de certaines femmes, d'éviter hôpitaux et médecins. D'accoucher plus naturellement. La nouvelle popularité new-yorkaises des accouchements à la maison n'est peut-être pas une anomalie, mais le début d'une vraie tendance. À New York, ils sont forts là-dedans.